Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

dimanche 2 mai 2021

LES TROIS DIMENSIONS

     Ce que n’est pas l’identité (Gallimard – Le débat, 2018). Heinich. Le rappel philologique et théorique de son emploi dans le champ académique francophone, l’anthropologie et les sciences sociales, avant sa déconceptualisation et sa polarisation au tournant du XXIe siècle dans l’espace politique : « phénomène inédit » (p. 19), sa connotation à droite, le sarkozysme et le ministère de l’identité nationale au point que la sociologue parle de la gauche à la droite et retour de la droite à la gauche de « pensée d’essuie-glaces » (p. 24). All right. Il me semble qu’il y a une ellipse certaine du côté du national-populisme depuis les années 70-80 (Le Pen, etc.) cependant. Tout ceci ne me réconcilie pas pour autant avec le terme. Ces usages le rendent suspect à mes yeux en terres européennes, en terre nord-américaine, par les replis de tous bords en phase avec les mondialisations libérales-économiques, géopolitiques, culturelles, et leurs effets d’hégémonie. La tentative est toutefois intéressante qui se veut résolument constructiviste (et non substantialiste, moins encore essentialiste) de penser l’identité, du personnel au collectif, sous l’ange du multiple : « un modèle pluriel et non pas unitaire ». Mais passé le couple idem et ipse, la critique du dualisme différenciation vs assimilation, il est tout de même énoncé : « L’identité n’est ni unidimensionnelle ni bidimensionnelle, mais bien tridimensionnelle » (p. 68). Ce qui n’en réduit pas moins aussitôt l’idée même de multiple, il me semble. Classique. Les éléments proposés sont l’autoperception, la présentation de soi (cf. Goffman), la désignation, trois moments sur l’axe intériorité/extériorité. Où l’enjeu de la nomination et de la catégorisation active inévitablement la relation au langage. Quoi qu’il en soit, cette dynamique ternaire permet de rendre compte de ce que Heinich analyse typologiquement selon des cas variables les crises d’identité ou les troubles identitaires, des phénomènes qui, sur bien des points, font penser aux déchirements de l’habitus bourdieusien mal ajusté au champ social dans lequel il doit évoluer avec les stigmates, les blessures que cela entraîne. Le multiple, et c’est le plus étonnant de la part d’une sociologue de la culture et de l’art, ce sont les œuvres de création qui en vérité permettent de le décliner. Sans doute Pessoa est-il mentionné, mais l’« éclatement du moi » (p. 100) se trouve d’emblée ressaisi dans la perspective des hétéronymes, à travers la logique de la désignation. S’il est un lieu, et Pessoa n’en est qu’un exemple, certainement spectaculaire, où s’invente et se réinvente l’identité – à rebours de ses instrumentalisations idéologiques – comme de la catégorie socio-anthropologique – ce sont la littérature et l’art. N’était la problématique de la signature, de l’auctorialité et de l’autorité symbolique (consécration, succès, grandeur, reconnaissance), c’est peut-être, paradoxalement, l’objet manquant de l’enquête.