Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

dimanche 30 juin 2019

LE SENS DU SILENCE

Dans un autre registre, le sens du silence qui occupe entièrement Élisabeth. L’ironie lancée à l’encontre du mari qui l’accuse de s’entretenir dans l’illusion des mots au lieu du bon sens et de la réalité : « « Des mots ?... Et avec quoi voulez-vous que je vous réponde ? Avec quoi me questionnez-vous ? » (p. 397). Le personnage oppose aussitôt « ma manière de parler » qui est « une autre façon de regarder ces choses », déclarations fondées sur cette croyance que « le monde n’a de sens que selon la puissance des mots » (p. 398) ; et cette puissance ne se sépare pas du silence (voir de nouveau la scène muette) : « Je vais renouer avec le Silence, c’est mon vieil ami » (p. 401). 

LE SENS DU CAPITAL

Villiers encore. La Révolte. Pièce huée lors de ses cinq représentations en 1870. Le texte se place par certains traits dans la littérature d’opposition de la fin du Second Empire et ses agitations sociales. Bien sûr, il y a la fameuse « scène muette », avec l’apparition du petit jour ; et le retour d’Élisabeth qui plus tôt s’était enfuie. L’inversion des codes bourgeois du théâtre et le ciblage idéologique du Sens-Commun, incarné par le prudhommesque Félix dont le nom est l’antiphrase même. Une parole enfin portée par l’émancipation côté féminin, « le foyer est éteint, les cendres sont froides » (p. 402) même si le drame se conclut sur le sentiment qu’aucune « issue » n’est « possible » (p. 406), d’être « vaincue » (p. 407). Mais irréductible aux attaques contre l’esprit positif, tête-de-Turc de l’auteur, une critique plus large : l’amour des intérêts bas et matériels « au nom desquels il est permis de demeurer distrait devant la misère des déshérités » ou le jeu capitaliste avec la ruine des autres « à dégoûter de leur tâche ceux qui travaillent, en leur donnant, à chaque instant, le spectacle de ces opérations permises qui enrichissent en une heure » (p. 399) – et ce spectacle est à entendre au triple point de vue des travailleurs, d’Élisabeth qui assiste à la fortune de son mari, à sa mise en scène ou représentation. 

AUTOGRAPHIE ET AUTRE

De retour aux notes, perdues au milieu de l’hiver, à la lecture de The Ethnography of Rhythm. Orality and its technologies par Haun Saussy, que j’ai déjà signalé. Vacance provisoire de l’esprit qui sert au moins à renouer avec un éclairage efficace. Non pas tant par certains présupposés derridiens de la question ; ou des cadrages épistémologiques du côté des Media Studies (la ligne McLuhan). L’enquête traverse certains repères – variablement oubliés, ou marginalisés – (et pour l’essentiel les sources sont françaises) – Milman Parry, Jean Paulhan, Marcel Jousse – ; surtout, elle importe par le dossier à la fois documenté et maîtrisé – reconstituant là encore un savoir perdu – celui de l’ingénierie acoustique fin XIXesiècle et l’essor des phonétiques instrumentales dans la section « Autography » (Fordham, 2016, p. 86-128) – l’épopée Rousselot et de ses suiveurs. En l’occurrence, tout se tient d’emblée dans ce geste inaugural de « look into the history » de l’émergence de l’oralité « as an object of discourse » (p. 4) et secondairement « the perturbation caused by the idea of oral literature » (p. 1) elle-même.

jeudi 27 juin 2019

TEXTE THÉÂTRAL


Sous la direction de Pascal Lécroart, Formes et dispositions du texte théâtral. Du symbolisme à aujourd’hui. Enjeux littéraires, poétiques, scéniques, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, coll. « Annales littéraires », 2019, 356 p.

mercredi 26 juin 2019

RÉVOLTE

Entre éclats d’obus et éclats de rire, et cette dualité est longuement tramée et explorée au long du récit, ce qui renoue avec le sens de l’épopée se place d’emblée sous le signe de la révolte – nominativement : « Paris a survécu. Le soleil brille sur la Révolte. L’indomptable Liberté s’est relevée, chancelante, mais appuyée sur tous ses drapeaux rouges et défiant les sceptres meurtriers de Berlin et de Versailles » (éd. Sao Maï, 2008, p. 51). Et en fait d’allégories, l’auteur présumé poursuivra au moment de la narquoise description de la colonne Vendôme dont la mise à bas vaudra, Courbet en tête, toutes les épithètes dégradantes en termes d’animalité et de sauvagerie (cf. Lidsky, Les Écrivains contre la Commune, 1971). Révolte, soit, le drame du même nom chez Villiers, représentée à Paris et dénigrée par la critique un an auparavant ; le terme évoque non moins la section des Fleurs du Mal, 2eédition de 1861 – « Abel et Caïn », etc. et la trame post-48 des luttes fratricides. La question du peuple, la question surtout du prolétariat. 

TABLEAU ET SIGNATURE

Pris dans Villiers, le Tableau de Paris sous la Commune, paru sous le pseudonyme Marius (nom et technique journalistiques courants), dans la feuille fédéraliste Le Tribun du Peuple du 17 au 24 mai 1871, au milieu des événements, et de la Semaine sanglante. Ou convient-il de parler de pseudo-Villiers s’il est vrai que le texte a été sujet à controverse et se pose d’abord à travers une problématique de l’attribution ? Débat qui commence en 1953, résumé par les éditeurs de la Pléiade en 1986 des Œuvres complètes (Castex, Raitt, Bellefroid) qui en reproduisent le texte en petite police, mais doutent (sans certitude) qu’il soit effectivement de Villiers. Discussion relancée avec mordant et conviction par Sao Maï en 2008, qui souligne d’autant mieux les évidences et les contradictions des prédécesseurs. Le point de déni majeur réside dans la question politique : comment un écrivain d’ascendance catholique, aristocratique et réactionnaire a-t-il pu se commettre auprès de la Commune ? Les lieux communs de la critique à ce sujet me font tellement songer au cas Verlaine, pendant longtemps retiré à la littérature d’opposition dont il est pourtant l’un des représentants majeurs. Le présupposé commun du débat, indiqué par le pseudonyme Marius, est la signature ou l’écriture comme signature. Ou, ainsi qu’en conclut malicieusement le recenseur d’Histoires littéraires (avril-mai-juin 2009), nº38 (https://histoires-litteraires.fr/comptes-rendus/n38/), « si ce n’est pas Villiers, c’est quelqu’un qui lui ressemble étrangement »…

mardi 18 juin 2019

POEMATA

La création d’un tout nouveau site, Poemata. Actualité de la recherche sur les pratiques poétiques, que me signale Barbara Bohac : https://poemata.hypotheses.org/lassociation

mercredi 12 juin 2019

CURIALISATION

L’autre ancrage en face des sociologies et anthropologies modales, comme classique et incontournable des manières, à reprendre au point de vue d’une poétique : Norbert Elias évidemment avec Über den Prozess der Zivilisation, etc. – l’histoire du processus de curialisation centré sur l’exemple-cas de l’Occident.

mardi 11 juin 2019

LE POINT D'ARTICULATION

De retour sur le point d’articulation concernant l’anthropologie poétique et politique des manières. C’est autour de cette obsession que s’est organisé ces dernières années le travail – mais sans l’ancrage théorique avancé nécessaire à l’élucidation des enjeux et des problèmes – par à-coups, par lectures, par œuvres – dans le singulier. Autre que les travaux lus et fréquentés. Sans perspective large. Il me semble que la prime question à laquelle il est nécessaire de répondre est : pourquoi construire le chantier sur le paradigme de la malfaçon. Précisément : pour sortir la relation aux manières de leur version idéaliste ou moraliste, l’angle par lequel les perçoivent généralement les sciences humaines – les manières étant liées à l’étiquette bourgeoise ou aristocratique, à la distinction et aux pouvoirs normatifs des classes dominantes, etc. Il se dégage plusieurs zones : 1. manières et langage(s) – et spécialement l’axe du dialogue et de la conversation, ce qui inclut deux choses par-delà le schème classique salonnier qu’on y associe en guise de cliché ; la composante pragmatique-culturelle ; le lieu révélateur à ce sujet qu’est le genre non-genre du théâtre. Il n’est pas d'heureux hasards, que ce soit chez les écrivains dramaturges que cette question s’explicite le plus ou le mieux. Et j’ai toujours été frappé de son poids chez Koltès. Pas seulement la partie mystique – politique sous le signe de Jean de la Croix (La nuit juste avant les forêts) mais la guerre familiale-fraternelle-culturelle (l’Algérie et la France), entre Adrien et Mathilde : Le retour au désert. 2. manières et goûts : la prise tardive du côté du dé-goût et du mauvais goût. Hugo et le goût comme raison du génie, Baudelaire, Corbière, Verlaine, Rimbaud, Lautréamont, Jarry, jusqu’à Beckett et Prigent, etc. 3. manières et savoirs : les théories de l’anthropologique (De Certeau / Bourdieu). Le morceau Durkheim-Mauss-Lévi-Strauss et les apories du modal. 4. manières et cultures. C’est à ce niveau que prend la dynamique du singulier commun. Avec d’un côté les catégories posées ou tenues pour suspectes – peuples et nations (des impérialismes XIXe s. aux populismes du XX/XXIe s.) ; et de l’autre : l’axe décolonial / postcolonial (où prend de biais l’emploi ethnographique). Tout ceci – un état provisoire à clarifier. Ce que je vois.

BALAFRE

Il me semble que la conclusion en découle d’elle-même. Poète et marins ont ça en commun que comme le dit « Matelots » contre les représentations stéréotypées servies au public bourgeois du théâtre et de l’opéra, « on ne les connaît pas » (mêmes raisonnement et indignation que Michelet dans Le Peuple). D’où inséparablement : « L’Art ne me connaît pas. Je ne connais pas l’Art. ». Autrement dit, si la poésie de Corbière donne à connaître les gens de mer, c’est à la condition de sa manière, comme cette manière ne se donne à connaître qu’à la condition du petit peuple des océans. Ainsi s’élucide le fait que la vraie signature de l’œuvre ne se localise pas dans le nom propre, en tête du recueil, mais dans les coups de stylets qui s’y pratiquent. Le marin en porte les traces sur lui pour le restant de ses jours, ils forment l’abrégé de sa vie : « – Une balafre – Ah, c’est signé !... C’est quelque chose ! ». Comme la bosse de Bitor qui excite maints moqueries et quolibets, l’incision brutale du visage et du corps devient finalement un motif de gloire. La balafre fait de la poésie quelque chose. Cette fois, ce n’est plus en face de « rien » – en négatif indéfini, sorte de réalité labile et incertaine dont débat le poète au début, mais le mode admiratif et impressif. Ce qui fait la différence : une valeur en train de s’inventer – un événement visible et marquant – c’est le cas de le dire. La grandeur dans la maigreur en quelque sorte.

LE BAS

Sur les gens de mer, et la matière bretonne, c’est ce qui vient unifier le peuple de malfrats, de hors-la-loi, de délinquants – version éthique de l’œuvre dans sa situation marginale ou frontalière. C’est ce qui recharge aussi la poésie d’un sens épique mais sans héroïsme. Or tous sont « cassés, défigurés, dépaysés, perclus », ils n’ont pas de visage mais une gueule, « une face-à-coups-de-hache » selon le principe poétique de l’entaille, de la coupure, etc. Cf. les coups de stylet de la « manière noire » dans « Fleur d’art ». Parmi eux, le renégat aura cependant changé de nom « comme chemise » et effacé le stigmate honteux sur l’épaule (« Travaux forcés ») pour troquer son identité et échapper aux surveillances de la police. Ce procédé n’est pas sans lien avec le nom que le poète se refuse à avouer ou à prononcer lors de son interrogatoire par les autorités de la préfecture : « C’est du… » pour c’est du Corbière dans la section inaugurale du recueil. Comme pour le bossu Bitor qui descend du Quasimodo de Notre-Dame de Paris et du Gilliatt des Travailleurs de la mer, la rime « ça » / « forçat » reconduit à part égale aux Misérables et à Jean Valjean (successivement M. Madeleine, M. Fauchelevent, M. Leblanc, M. Fabre dans le roman). Et ces incontestables sources hugoliennes se conjuguent non moins explicitement à une citation de « L’Albatros » : « À terre – oiseaux palmés – ils sont gauches et veules. / Ils sont mal culottés comme leurs brûle-gueule. ». Ces figures en viennent à incarner très concrètement le paradigme de la malfaçon promu par l’auteur : distorsion, gaucherie, hybridité, déformation, etc. Mais c’est comme si Corbière en oubliait la nature duelle de l’homme qu’avait postulée Hugo dans la préface de Cromwell, ne retenant pour ce qui le concerne que le bas, le grotesque, le carnavalesque, le laid. Il me semble que ce qui importe à l’auteur des Amours jaunes, sans qu’il (se) dissimule à cet égard les différences qui le séparent des marins, c’est que dans leur « langue hâlée » les gens de mer soient « de mauvais goût ». En ce sens, il peut les déclarer « poème vivant ». Non par analogie avec le genre lyrique ni par hyperbole dans le genre épique, mais bien parce qu’ils font du Corbière.

LE COUCOU

Dans le bestiaire, il y a sous l’espèce d’un cliché le « maigre coucou ». Il me semble d’importance. Celui qui peuple les nids et vit aux dépens des autres. La stratégie d’occupation de l’oiseau grimpeur traduit le phénomène paradoxal de l’innutrition chez Corbière. L’œuvre doit son existence et son développement à l’imprégnation voire à la saturation de référents culturels qu’elle s’ingénie à dérégler. Il reste à expliquer le trait physique. À un premier niveau, il s’accorde avec la représentation d’un poète « sec » et « pâle » (« Le poète contumace »). Il voisine avec la « face creuse » de la misère, moins celle de la bohème que des pauvres authentiques. Il se retrouve dans des personnages tels que le « rachitique » au « moignon désossé » ou le « chien-loup maraudeur ». À un deuxième niveau, il reclasse la poésie négative de Corbière en manière maigre, caractérisation souvent péjorative dans les théories classiques qui l’opposaient à la grande manière ou à la manière ample. Et la grande manière avec « son flot hexamètre », inséparable du flué romantique ou bourgeois, c’est ce que Corbière appelle le « grenier poétique », sorte de grenier d’abondance de nature nationale, la réserve inépuisable pour laquelle le lecteur « paye pour fluer, vers à vers ». Ainsi s’explique que le coucou fasse d’abord son nid chez Lamartine, le « harpiste » suprême ou « pleureuse en lévite » et Hugo, « gardenational épique », qu’il s’applique à dégonfler. La manière maigre engage une continuation par réduction.

QUELQUE CHOSE

Traversée nouvelle de Corbière. La puissance de ce livre unique qui fait une œuvre. Entre le « rien » et le « quelque chose » portant la désignation catégorielle « ça » pour l’entier du recueil, au vu de a) la finale « rimé » et « imprimé » qui porte dès l’entame l’attention sur la conversion matérielle du livre ; b) dans le pastiche de La Fontaine, « La Cigale et le Poète », sur la figure de la marraine – celle qui assiste au baptême de l’œuvre – mais assure également le lancement de l’auteur dans le milieu – je comprends donc combien l’auteur déjoue la logique de l’échange, et avec elle l’opération commerciale qui gouverne la communication littéraire. Entre le bien physique destiné à la consommation et le bien symbolique irréductible à son statut marchand, il n’y a peut-être pas équivalence, celle qu’indique le montant sur l’exemplaire jonquille original des Amours jaunes en 1873 (7,50 francs). Il se pourrait malgré tout que le lecteur en ait pour ses frais, c’est là toute l’ironie. Car ces textes précisément ne sont pas une valeur sûre dans laquelle il convient d’investir sans prendre de risque à l’image du corpus classique ou même romantique, Lamartine en tête avec son « lacrymatoire d’abonnés » et ses « 1 fr. 25 c. le volume ». Ils indexent au contraire une valeur labile, dont le cours semble trop accidentel ou aléatoire (d’où le motif des « raccrocs ») – une valeur que pour cette raison le ça qualifie ensuite comme indicible. 

jeudi 6 juin 2019

PENSER LA DIFFÉRENCE


Silvia Contarini, Claire Joubert, Jean-Marc Moura (éds.), Penser la différence culturelle du colonial au mondial. Une anthologie transculturelle, Éditions Mimésis Altera, 2019, 350 p. http://www.editionsmimesis.fr/catalogue/penser-la-difference-culturelle-du-colonial-au-mondial/