Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 30 septembre 2020

JAMES McGILL ET SES ESCLAVES

    La colère d’une collègue, Charmaine Nelson, professeure en histoire de l’art (voir son site de recherche en particulier : https://www.blackcanadianstudies.com), inséparable à la fois d’un parcours intellectuel mais également des événements récents aux États-Unis et ailleurs : https://www.ledevoir.com/videos/586850/identite-charmaine-nelson-et-la-memoire-de-l-esclavage. James McGill et ses esclaves noir(e)s et autochtones. Et pour finir, le savoureux repentir en guise de réponse aux enquêteurs – réponse strictement écrite (« par courriel ») de « l’administration » – qui par définition, et à la différence de  la Pr. Nelson n’est personne, et c’est là, on le sait, la meilleure stratégie pour diluer les responsabilités, à commencer par les responsabilité à prendre devant l’Histoire – qui objecte qu’elle a fait des progrès en matière de diversité…

mardi 29 septembre 2020

LA TOMBE ET LES ASTICOTS

     De Frédéric Martel, qui continue de faire efficacement sa campagne très libérale-républicaine (assimilatrice) autour de Rimbaud-Verlaine, en « multiplicateur de progrès »... je reçois ces quelques liens et les dispose ici (avec une ironie, il est vrai, peu charitable) en vue de l’archive au moins – la controverse vue de l’extérieur de l’hexagone (jusqu’ici, et sauf erreur de ma part, elle a peu suscité l’intérêt, que ce soit aux États-Unis ou au Canada) : côté espagnol donc, https://elpais.com/cultura/2020-09-23/rimbaud-y-verlaine-poetas-rebeldes-y-gays-en-el-panteon.html ; côté britannique : https://www.theguardian.com/books/2020/sep/28/calls-for-arthur-rimbaud-paul-verlaine-reburied-together-pantheon-paris, organes plutôt placés à gauche sur l’échiquier politique européen. Cela n’empêche pas qu’entre pétitionnaires et contre-pétitionnaires (chacun y allant bien entendu de sa suprême opinion), pour employer la métaphore biologique d’un ami, que je me permets de citer, tant le mot – hautement spirituel – convient à la situation, à son incontestable gravité : tout ce beau monde, « ça grouille comme des asticots qui reniflent la charogne… »

 

samedi 26 septembre 2020

LA PAGE BLANCHE

     Les tribunes se suivent et se ressemblent… sans que le débat ne s’élève vraiment. Comme de prémédité, Jean-Luc Barré, Michel Braudeau, Frédéric Martel, Angelo Rinaldi, Olivier Py, Edmund White, répondent ce 25 septembre dans Le Monde à la contre-pétition du 17 dernier, ouvertement hostile à la mise en panthéon de Verlaine et Rimbaud : (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/25/ce-n-est-pas-assagir-rimbaud-et-verlaine-ni-les-recuperer-a-des-fins-partisanes-que-de-les-faire-entrer-au-pantheon_6053523_3232.html). Tandis que les adversaires sont vite qualifiés de « soixante-huitards forcément attardés », de « professeurs émérites, de catholiques et d’écrivains – certains fort respectables, au demeurant » selon la ronde polémique des clichés, ceux-là ne défendent pas l’ordre établi. Les auteurs de la tribune se sont réconciliés avec la République, celle qui est au pouvoir notamment – l’allusion est sur ce point assez limpide : « C’est d’ailleurs inévitable. La République doit accueillir plus de femmes, mieux représenter les différences. Ce mouvement est en marche, comme le montrent les panthéonisations récentes d’Alexandre Dumas, de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, de Simone Veil ou d’Aimé Césaire, dont certaines se sont faites symboliquement par une poignée de terre prélevée sur la tombe et par une plaque, sans le déplacement du corps. » [c’est moi qui souligne]. De là découlent d’incroyables sophismes comme on en aura rarement lus : loin de vouloir institutionnaliser Rimbaud et Verlaine, « il s’agit de “désinstitutionnaliser” le Panthéon ! » en sorte même que « le temple laïque et républicain soit “multiplicateur de progrès” ». Et la citation ne détourne pas uniquement la lettre dite du voyant ; elle touche très précisément au cœur de l’œuvre par le nœud poético-politique chez Rimbaud, en l’occurrence inséparable de la révolution socialiste (voir à ce sujet Steve Murphy, Rimbaud et la Commune – Microlectures et perspectives, Classiques Garnier, 2010). La contre-note, résolument ironique, sur les dénis qui entourent les lectures inspirées des Gender Studies et la prégnance de la problématique homosexuelle tant chez Rimbaud que chez Verlaine est beaucoup plus juste et mieux ciblée. On sourit seulement à lire certains procédés de contre-offensive : « Ne nous cachons pas la vérité : les arguments contre l’entrée de Rimbaud et Verlaine au Panthéon tiennent pour l’essentiel à la question homosexuelle. » Car les arguments pour l’entrée de Rimbaud et Verlaine au Panthéon – que les signataires de la tribune soutiennent depuis le début – ne tiennent pas moins à cette question. Dans ce jeu de miroir, qui fait de cette pauvre controverse un  vrai piège à cons, on est seulement atterré de voir nos auteurs en conclure, en toute certitude et confiance : « Par-delà notre pétition, qui aura au moins permis de révéler au grand jour ce camp du déni et de l’ordre moral, une page blanche s’ouvre pour les études rimbaldiennes et verlainiennes. À nous maintenant, et à de nouvelles générations de chercheurs, de produire sans préjugés les recherches nouvelles que, “ô future vigueur”, nos deux plus grands poètes méritent. » Une page blanche vraiment ? Mais celle-ci – et sans préjugés – continue de s’écrire – et sur la problématique homosexuelle entre autres – depuis 30 ans maintenant. On ne saurait mieux trahir un esprit à contretemps – une démarche retardataire et surtout résolument ignorante, ignorante des « recherches », depuis les activités érudites et savantes à des essais plus visibles sur le marché culturel… 

lundi 21 septembre 2020

SONDAGE

Gardien des valeurs essentiellement nationales (et de l’hétéronormativité), Le Figaro a lancé cet admirable et très utile sondage voici quelques heures : « Faut-il faire entrer ensemble Rimbaud et Verlaine au Panthéon ? » Non pas : « Faut-il faire entrer Rimbaud et Verlaine au Panthéon ? » puisque l’essentiel de la question, identifiant l’une des prémisses majeures de la pétition, porte sur l’adverbe « ensemble » – des plus embarrassants. Ce qui fait froncer les sourcils par ses sous-entendus. Des internautes parmi les plus adroits et les plus lucides (tandis que d’autres se défendent par avance de l’accusation d’homophobie tout en blâmant le « lobby » LGBTQ+…) commentent, et l’on admire au passage ce sens aigu et spontané de la répartie : « Et pourquoi pas Annie Cordy ? » Ou dans un registre moins ironique qu’indigné : « On commence à mettre n'importe qui au Panthéon. C’est comme les Prix Nobel, ça ne vaut plus [rien ?]. » De ces piètres querelles, gageons qu’il soit permis de rire autrement : https://www.youtube.com/watch?v=3OMBTmcX-lY.

samedi 19 septembre 2020

LES DEUX VIES

     Fernando Pessoa (Œuvres poétiques, p. 445) : « Nous avons tous deux vies: / La véritable, qui est celle que nous avons rêvée pendant l’enfance, / Et que nous continuons à rêver, adultes, sur fond de brume ; / La fausse, qui est celle que nous vivons dans la vie partagée avec d’autres, / Qui est la pratique, l’utile, / Celle dans laquelle on finit par nous mettre dans un cercueil. »

TÉLÉGRAPHIE DE L'ÂME

    Sale. Abîmé, ce matin. Soleil très frais au dehors. Le sang à 25 mg de cortisone. Comme un chiffon en pièces, arraché ou déchiré. Un morceau jaune et gras, maculé d’huile de moteur. Celui qu’on jette en dessous de l’établi, où il sèchera lentement, en vue de la prochaine vidange. Et je ne me sens ni vidé ni purifié.

vendredi 18 septembre 2020

LE COMBAT BATROCHOMYOMACHIQUE

    Dans le montage panthéonesque et médiatique, rarement aura-t-on vu s’accumuler sur le mode risible autant d’ignorances et de sottises autour de deux figures majeures de la poésie française. D’un côté, réagissant à la pétition demandant le transfert des cendres de Verlaine et Rimbaud, les signatures du Monde (et non des moindres s'il vous plaît, on admire au passage, presque béat, leur lucidité extrême : Tahar Ben Jelloun, François Jullien, Antoine Compagnon, Michel Deguy, etc.) soutenant les thèses les plus régressives  et réactionnaires  à coups de stéréotypes (américanisation, bienpensance, communautarismehttps://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/17/la-pantheonisation-de-rimbaud-et-verlaine-releve-d-une-ideologie-bien-pensante-et-communautariste_6052526_3232.html ; de l’autre, signée par Frédéric Martel, la réplique du Point : https://www.lepoint.fr/culture/toute-l-oeuvre-de-rimbaud-est-marquee-par-des-preferences-homosexuelles-18-09-2020-2392531_3.php, qui circonscrit (et jugule) la lecture des œuvres à la question (homo)sexuelle et à l’approche gender – en soi légitimes. L’auteur d’Invectives eût aisément qualifié ces passes d’armes, véritable pièges de la controverse qui enferment le lecteur loin des œuvres, des exigences de la pensée et des rigueurs du savoir, de combat « batrochomyomachique », digne des comédies d’Aristophane… On ne s’ennuie pas. Le mieux est encore d’aller respirer avec Kristin Ross et Denis Saint-Amand : https://www.marianne.net/culture/rimbaud-et-verlaine-au-pantheon-une-idee-foncierement-sentimentale-et-macabre.

jeudi 17 septembre 2020

LE CRI DE LA GRÂCE

     Puissance des vers. La scène mystique de Sagesse, II, 1, bien entendu : « O mon Dieu, vous m’avez blessé d’amour, / Et la blessure est encore vibrante, / O mon Dieu, vous m’avez blessé d’amour. » Thérèse d’Avila – entre autres. Plus loin, la brûlure « tonne ». Ceci relu dans l’ancienne édition avec commentaire critique de Louis Morice pour la librairie Nizet. Le plaisir de feuilleter ces pages érudites et moisies par endroits, piquées de taches ocres et jaunes comme un visage qui aurait vieilli de manière précoce. Il faut dire qu’il est certaines œuvres décalées – à rebours presque de leur temps – celle-ci parue l’année 1968, qui sent la naphtaline et le séminariste, des séances de catéchisme, ânonnées sous la férule. Beauté des vers. Car malgré les odeurs d’église (Apollinaire parle de l’« odeur de vos églises », quelque part, dans Alcools), ces recoins dérobés, non moins obscurs et humides, la fascination de ce tercet, reconduite exactement à l’identique, dans l’énumération anaphorisée (« Voici mon sang que je n’ai pas versé », « Voici mon front… », etc.) par lequel l’incroyant fait sacrifice et don absolu de sa personne : « Voici mes pieds, frivoles voyageurs, / Pour accourir au cri de votre grâce, / Voici mes pieds, frivoles voyageurs. » Accourir au cri de votre grâce me laisse à chaque fois bouche bée

HAILLONS

    En guise de phrase de jour, destinée à l’illuminer : « Haillons nous sommes, haillons nous aimons, haillons nous agissons – / Quels haillons, tout ce qu’est ce monde ! » (Pessoa, Œuvres poétiques, p. 441). Disons : l’humeur du jour.

mercredi 16 septembre 2020

PIANO ET LAMPE

    Tolstoï, Goethe et Pessoa oubliés sur le piano de bois, contre la troublante lampe-visage, artisanalement sculptée, dont les anciens ébrèchements et fêlures témoignent de maints périples familiaux, au cours desquels, yeux ouverts sur le néant et lèvres closes, elle aura suivi sans protester jamais. Enfoncés dans le fauteuil en face, on jouit absolument de son silence. On en savoure même la lumière douce au crépuscule. Elle condense tous instants sereins. Elle nous regarde. Chaque soir, elle auréole la musique, fluide ou heurtée. Les notes qui sortent de l’instrument sont loin pourtant de la paix bourgeoise qu’on trouve dans les tableaux de Degas ou de Renoir. Piano et lampe me sont devenus emblèmes intimes de l’oisiveté. Cherté de l’oisiveté, et qu’est-ce à dire, exactement ? j’y songe  l'évoquer plus tard.

RECTANGLES

    Tristesse de la société. Tous ligotés derrière de plats écrans, où chacun, réduit à la miniature, comme vaincu en taille et en épaisseur par l’image, se silhouette vaguement, avant de s’éclipser en agitant la main en forme d’adieu : rectangles instables qui dévoilent cependant quelques fragments d’intimité – ici une chambre, ses objets et décors, la soudaine perception des goûts d’autrui ; là le contre-jour béant d’une cuisine, la lumière de la fenêtre coule sur le désordre des ustensiles, les miettes de pain, et les conserves posées sur la table d’où – on le devine – procède le moderne appareil à communiquer, avant que du spectacle ne se détache le détail incongru : abandonné dans l’angle gauche, un balai de fortune, au matériau plastique le plus cheap, acheté dans une épicerie voisine. Dehors : et nous voilà de nouveau bâillonnés, à la manière des voleurs des grands chemins, d’habiles et consciencieux chirurgiens ou des célébrants euphoriques en route malgré les circonstances pour les mardis-gras de la Nouvelle-Orléans. Un ami y puise une autre métaphore : nous voici retournés au temps du cinéma muet, comptant sur l’éloquence unique de nos gestes et de nos corps. Car pour qui se risque à l’extérieur la parole est vite étouffée, quand elle ne devient pas inaudible. Elle n’est vraiment libre qu’à la maison, autorisée mais recluse dans les boîtes à sons et à visages par lesquelles désormais on échange et partage.

mardi 15 septembre 2020

HISTOIRE ET HISTORIENS DES IDÉES

   Bonheur d’écouter Parsifal de Wagner ce matin, seulement interrompu par une autre nouvelle de Marc Angenot, la parution du volume dirigé par David Simonetta et Alexandre de Vitry, Histoire et historiens des idées. Figures, méthodes, problèmes, publication du Collège de France, sur le portail OpenEdition Books dans la collection « Conférences » : « Par essence interdisciplinaire, l’histoire des idées construit des ponts entre des domaines qui, d’ordinaire, ne se rencontrent pas. Mais quelles relations l’histoire des idées entretient-elle exactement avec la critique littéraire et la philosophie ? Est-elle ce vers quoi nous devons nous tourner ou, au contraire, ce dont nous devons nous prémunir lorsque nous cherchons à comprendre les mutations intellectuelles collectives sur la longue durée ? Ce volume, qui réunit philosophes, spécialistes de littérature et historiens, aborde l’histoire des idées à travers ses écoles, ses œuvres et des figures atypiques telles que celles d’Étienne Gilson, Arthur O. Lovejoy, Hippolyte Taine, Anatole France, Isaiah Berlin, Paul Bénichou, Paul Hazard, Michel Foucault ou encore Martin Heidegger. Il brosse ainsi un portrait critique d’une discipline aux contours imprécis, qui a connu bien des variantes méthodologiques et soulevé bien des problèmes tout au long du XXe siècle et jusqu’à aujourd’hui. »

       https://books.openedition.org/cdf/9832

N'IMPORTE QUEL AUTRE

     En lien avec les stratégies hétéronymiques, et les multiples déclarations qui parsèment poèmes et œuvres à ce sujet (voir les premières occurrences déjà pour Alberto Caeiro-Pessoa, Le Gardeur de troupeaux) – Pessoa-Álvaro de Campos. « Insomnie » : « Ah, l’opium d’être n’importe quelle autre personne ! » (Œuvres poétiques, p. 402)

dimanche 13 septembre 2020

BANDE DE PÉDÉS...

       De loin, la raison qui prévaut à l’évidence sur le reste de la pétition, et répond vraiment au besoin de corriger l’histoire nationale comme de rendre enfin « justice » aux deux poètes maudits est celle qui se dévoile dès les premières lignes – à travers le rappel de l’« homophobie » – à commencer par celle du milieu littéraire du temps, Parnasse en tête ; celle qui s’énonce dans la maladroite insistance à présenter Rimbaud et Verlaine « conjointement » ou, si l’on veut, sous l’espèce d’un couple qu’ils n’incarnent pourtant plus après 1875. Et ce « drôle de ménage » ne défie pas uniquement par sa nature homoérotique ; la rencontre, on l’a mentionné déjà, est de nature simultanément artistique et politique. Ainsi, la République Française, Ve du nom, serait-elle un État à déchets ? Celui qui recycle les causes et souhaiterait à toutes forces réconcilier et se réconcilier ? Se réconcilier avec les anormaux ou les marginaux – les autres – qu’avant lui, et en s’en réclamant, on aura opprimés ou plus simplement occultés ou réprimés ? Sur ce point, la revendication identitaire, sous-jacente à ce très... courageux rassemblement, a des allures lourdement publicitaires : de Jack Lang, Bertrand Delanoë et Frédéric Mitterand par exemple à Olivier Py ou Daniel Defert, etc. Du moins, et en dépit de quelques similitudes, le lien posé avec Oscar Wilde va-t-il à contresens. Rien à redire par contre au « dossier à charge » monté par la police française et la justice belge ; il a été impeccablement reconstitué par Bernard Boussmane dans Verlaine en Belgique. Cellule 252. Turbulences poétiques, Liège, Mardaga, 2015. Mon morceau de prédilection, à mettre dans toutes les anthologies, est l’examen médical de Verlaine par les docteurs Semal et Vlemincks, reproduit pour la première fois en 1985 par Françoise Lalande (Parade sauvage, nº2) : « 1. Le pénis est court et peu volumineux – le gland est surtout petit et va s’amincissant – s’effilant vers son extrémité libre, à partir de la couronne – Celle-ci est peu saillante et sans relief. 2. L’anus se laisse dilater assez fortement, par un écartement modéré des fesses, en une profondeur d’un pouce environ – Ce mouvement met en évidence un infundibulum évasé, espèce de cône tronqué dont le sommet serait en profondeur. Les replis du sphincter ne sont pas lésés ni ne portent de traces de lésions anciennes. La contractibilité est restée à peu près normale. De cet examen il résulte que P. Verlaine porte sur sa personne des traces d’habitude de pédérastie active et passive. L’une et l’autre de ces deux sortes de vestiges ne sont pas tellement marquées qu’il y ait lieu de suspecter des habitudes invétérées et anciennes mais des pratiques plus ou moins récentes. » Le regard censé produire la preuve à servir au juge fabrique l’obscène. Il déplie et continue le paradigme du monstrueux également attaché à Rimbaud (voir à ce sujet les rapports de l’officier de police Lombard). Je ne redis pas ce que j’ai longuement analysé ailleurs. En dépit de tout cela, difficile de ne pas percevoir cependant l’instrumentalisation propre à cette nouvelle « panthéonade » : la littérature comme organe d’émancipation critique y double les enjeux sociaux et culturels d’une réduction des œuvres et de ce qu’elles continuent probablement de faire à nos sociétés. Vers et proses accueillent, et appellent assurément, des lectures sur le mode gender – et sans que cela soit dû au hasard l’initiative en ce domaine est venue de critiques issus souvent du monde anglo-saxon. L’homosexualité ou le « roman de vivre à deux hommes » – qui dissimule donc d’autant mieux dans sa dominante masculine les formes homosexuelles – ou plus exactement le divers des sexualités et de leurs places et expressions au sein de notre, de nos cultures – est une question moins adressée aux œuvres qu’à l’État et à la personne de l’État par des signataires qui se servent en retour de ces mêmes œuvres. Sans doute la société française, particulièrement conservatrice sinon franchement arriérée, a-t-elle maille à partir avec ces enjeux particulièrement, à surmonter ses tabous et à légiférer. On ne vous apprend rien. Mais que peut ici la littérature, est-on en droit de se demander ? Il est certain que ce qui attire l’attention, et en dépit des quatre raisons explicitement énumérées, ce qui occupe en vérité le centre d’un débat littéraire et politique, justifiant pour finir de réclamer « l’entrée parallèle » (et sans ce parallèle la pétition tombe à l’eau, comme le transfert et la commémoration perdent absolument leur sens…) – ce qui retient donc l’esprit du lecteur permet de passer sous silence tant d’autres motifs, pour certains peut-être plus gênants. Sans même évoquer la figure controversée du dernier Rimbaud, trafiquant d’armes et esclavagiste, et si je m’en tiens au seul Verlaine ici, du côté de l’homosexualité, en vérité celle-ci s’énonce et évolue à l’intérieur d’une dynamique bisexuelle plus complexe (voir HombresFemmes, etc.). Elle se complique même d’une éthique pédophilique (voir la section « Lucien Létinois » et les lettres à Cazals). Au fond, l’homosexualité sur laquelle se décentre la pétition apparaît encore comme la version décente disons acceptable – c’est-à-dire culturellement assimilée et assimilable, – d’autant plus acceptable qu’elle a été consacrée il y a plus d’un siècle par l’institution littéraire, « deux poètes majeurs de notre langue » (déclaration en soi imparable), et qu’elle est non seulement dicible mais parlée par la contradiction démocratique, – contradiction que les signataires demandent en retour au chef de l’État d’arbitrer au moins symboliquement. Ce récit ne ment certes pas sur l’expérience carcérale de l’écrivain entre 1873 et 1875, les 555 jours qui l’inscrivent dans une tradition allant de Villon à Genet au moins. Si l’appareil judiciaire et policier est accusé d’avoir allongé la peine de l’auteur de Cellulairement, il convient d’opposer cependant qu’il fut aussi récidiviste, ayant manqué à d’autres occasions d’étrangler sa mère ; qu’il combine en plus de ses mœurs pédérastiques selon le vocabulaire en usage de l’époque les violences conjugales. À la figure du révolutionnaire, socialiste du « rouge le plus noir », passé légitimiste puis boulangiste, succèdent celle de l’alcoolique puis le clochard et l’éclopé errant d’hôpital en hôpital, au point qu’on l’accusa de profiter de l’Assistance publique. En bref, aussi bien du côté de Verlaine que de Rimbaud, « symboles de la diversité » d’après la pétition, l’homosexualité déclarative est le moyen de splendides censures… qui s’exercent en premier lieu contre les œuvres que le texte prétend célébrer.

On se souvient de la dernière réplique avant rideau du personnage de Hugo dans Les Mains sales de Jean-Paul Sartre : « Non récupérable. » C’est encore cette version-là de l’Histoire que je préfère.


CHOSES GORGÉES

      Trouvaille du traducteur et version en portugais à vérifier. Dans « Ode mortelle » Pessoa-Álvaro de Campos, je tombe sur « Choses gorgées, choses plus que gorgées, / Qui êtes ma tourbillonnante vie… » (Œuvres poétiques, p. 386). Et le registre en contexte est au cri. Mais l’expression est attachante par sa lourdeur physiologique, précisément, accompagnée du mot-caméléon  ou prototype de l’indéfini (« choses ») : mises en gorge et mise en voix – entre animalité et humanité, le terme pourrait parcourir toutes les gammes – criées, flûtées, chuchotées, marmonnées, braillées, expulsées, hurlées, cantillées, chantées, etc. 

samedi 12 septembre 2020

RELIQUES

       Sur la raison « morale » invoquée par la glorieuse pétition, impossible de ne pas passer rapidement, car l’argumentaire descend en effet six pieds sous terre. Aux tombeaux et reliques, même de « deux grands poètes » – mais en quoi, et comment, de nouveau, sont-ils grands ? – le sort réserve l’absolue indifférence. Certes, Charleville est demeurée ville chiche et étroite de province, malgré son architecture, son moulin et ses musées ; la coexistence avec Paterne Berrichon « ennemi et usurpateur » ressortit à la stricte symbolique. Au mieux, cela dérange la représentation des signataires. Quant à Verlaine, enfoui « sous d’affreuses fleurs en plastique »  – les fleurs artificielles… – près du périphérique parisien, le contraste brutal de la vie moderne impose d’aller au moins relire « Batignolles » qui conclut en 1888 Amour : le « grand bloc de grès » ou ce « tombeau nu, frustre » au bas d’un « faubourg qui ne bruit plus », mais dans lequel le poète espère que soient réunis « quatre noms : mon père, / Et ma mère et moi, et puis mon fils bien tard »…

DÉFINIMENT

    Pessoa-Álvaro de Campos. « Lisbon Revisited » (1926) : « Je brûle dans l’angoisse d’une faim carnivore / Pour un je-ne-sais-quoi – / Définiment de par l’indéfini… » (Œuvres poétiques, p. 360). Et les traducteurs notent en se justifiant : « “Définiment” reproduit definamente, néologisme dont le sens (“d’une manière définie”) fait oxymore avec l’adjectif qui finit le vers (“indéfini”). » (ibid., p. 1776). 

REFLET

     En me peignant ce matin, c’est-à-dire en repoussant du plat de la main les cheveux grisonnants et rebelles : qu’un miroir jamais ne renvoie de reflet exact. De quelque objet que ce soit. Du corps. De soi, moins encore.

POÉSIE ET NATION

        Le merveilleux est sans nulle équivoque le deuxième item de l’énumération : « Politique ensuite ». Il réduit Rimbaud, c’est-à-dire au moins la relation établie entre la révolution socialiste et l’utopie poétique, des lettres dites du voyant aux Illuminations, au champ de la « révolte » et aux avant-gardismes artistiques, sociaux et culturels, « surréaliste » et « mai 68 » pour ne retenir à la fin qu’un « slogan », isolé et extrait du contexte d’Une saison en enfer, celui de la gauche « des années 1970 » – loin des tendances gestionnaires parvenues dix ans plus tard au pouvoir qui en inversèrent pleinement l’utopisme. Il atteint le comble du ridicule dans le cas de Verlaine, digne de mémoire pour « Chanson d’automne » et l’annonce du débarquement. Avec une erreur de citation : « Bercent mon cœur d’une langueur monotone » au lieu de « Blessent mon cœur d’une langueur monotone »… En dépit de l’allusion qui suit quelques lignes plus loin à la Commune de Paris, rien sur le volume de vers socialistes, Les Vaincus, qui aura hanté Verlaine de 1867, à la fin du Second Empire, à mai 1871, et probablement plus tard encore au milieu des années 80 au moment de faire paraître certains des « Vers jeunes » dans Jadis et naguère. Tâche aveugle : celle d’une articulation constante du poétique et du politique qui date au moins de Poëmes saturniens, et se poursuit en registre réactionnaire et légitimiste à partir de Sagesse. Ces mises en oubli concordent avec une autre image – qui a peu à voir avec Verlaine mais ne lui échoit pas par hasard : la résistance, les alliés et la libération de la patrie soumise à l’occupant allemand. D’un côté, cela fait signe inconsciemment vers l’écrivain nationaliste, aux accents revanchards et antigermaniques, qu’a aussi été Verlaine – nationalisme qui se manifeste dans ses diverses variantes, celles de droite assurément, mais d’abord celles de gauche, inséparables en l’occurrence du soulèvement communaliste, comme à l’époque d’Amour elles le seront du populisme boulangiste, qui a attiré maints fédérés. De l’autre, subsiste cet implicite que la patrie et la révolution – la Commune de Paris en l’espèce – et Verlaine jamais ne quitta son poste de l’Hôtel de Ville – décidément ne sauraient aller de pair… Quant à « la vie française » (« Mauvais sang ») précisément, sur fond parodique adressé à Michelet et à son Histoire, vraiment, et pour ce qui me concerne ici, je n’ai rien à redire de Rimbaud… En toute hargne et avec la même hargne.

vendredi 11 septembre 2020

MORPHÉE

      La suite à cette méconnaissance des textes, ce sont par exemple du côté de Verlaine les textes autobiographiques, polémiques, ironiques ou satiriques, qui entourent et accompagnent le glorieux défilé et l’entrée de Victor Hugo en 1885 dans le saint bâtiment républicain. Voir en particulier dans Les Mémoires d’un veuf, recueil paru cette même année chez l’éditeur Vanier, « Mon testament », pastiche de celui du maître ; « Lui toujours – et assez » ; « Monomane » ou « Panthéonades », etc. De quoi méditer sur les ritualités et la religiosité diffuse de la IIIRépublique en ses fondements laïques ; sur la place et le rôle du poète devant le peuple – et Verlaine se décrit moins en guide selon le mythe persistant – pré-quarante-huitard – très attaché au mage romantique qu’en Morphée prompt à hypnotiser et endormir les foules…

COMÉDIE RÉPUBLICAINE

     Tout de même : la comédie républicaine et son incurable logique du « patrimoine » à laquelle se livre le projet décliné dans la pétition en faveur de Rimbaud et de Verlaine, j’y reviens, fascinent autant qu’elles tracassent l’esprit – et son souci de la rigueur en particulier. Comme souvent dans ces gestes à portée médiatique et politique, ce qui frappe c’est la connaissance très approximative et flottante des œuvres. À commencer par les raisons avancées pour mettre les deux poètes à l’ombre du Panthéon et de son fronton pompeux portant devise : « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ». À deux reprises, il est pourtant déclaré qu’une telle entreprise publique se veut « d’abord littéraire », et j’imagine, en premier lieu aux yeux des signataires. Or c’est dans le texte le paragraphe le moins développé, le plus elliptique. Du « génie multiforme » – en registre laudatif qui fait l’économie d’une caractérisation minimale – à « notre imaginaire littéraire et poétique » – catégorie flexible et générale – on sera déjà passé de l’auteur à la culture – l’effet des œuvres sans les œuvres. Ce que cible, et manque aussitôt le lyrique appel, n’est autre que ce qui fait la valeur de deux œuvres assurément singulières et incommensurables dans l’histoire de la littérature française et coordonne cette valeur aux valeurs de la société contemporaine. L’essentiel, quoi.

LE MYTHE CULTUREL

      Reçu ce midi comme promis par l’auteur l’opuscule de Frédéric Martel : Pourquoi nous sommes rimbaldiens, préface à la réédition d’Arthur Rimbaud de Jean-Jacques Lefrère – Robert Laffont, coll. « Bouquins ». 84 p. Le titre a l’avantage de sa clarté – il ne traite pas d’une œuvre mais plutôt d’un mythe culturel. 

DE L'AUTRE OREILLE

     Fenêtre ouverte sur le petit jardin. De nouveau, le rire perceptible de l’extérieur, inextinguible même, de l’enfant visionnant The City Lights (1931), tandis que j’écoute de l’autre oreille les saudades de Pessoa.

 

NOUVELLES

   Henry James. Si méconnu de moi. Car il faut se l’avouer, rougeurs au front et aux joues, depuis de nombreuses années je cultive une ignorance sale et sauvage en ce qui a trait plus généralement au domaine des littératures anglophones. Néanmoins : plaisir de feuilleter dans la fraîcheur piquante du petit matin, déposés en catimini par le postier sur mon seuil, les quatre volumes traduits en français des Nouvelles complètes dans la collection de la Pléiade. Et puis : quatre à cinq décennies prolifiques d’écriture presque.

JOURNAL

     Sans doute devrais-je tenir un journal du corps. Non seulement pour y consigner le minuscule des sensations et des perceptions, qui ces derniers mois sont devenues emphatiques et pesantes. Mais peut-être aussi, ou non moins élémentairement, pour enregistrer de simples événements intérieurs, qui font le cœur de l’ordinaire. Hier ou avant-hier par exemple, j’ai laissé s’écouler la journée entière, les yeux fixés sur un ciel bas et lourd à la Baudelaire, le courrier professionnel s’accumulant dans la boîte qui dégorgeait comme les gargouilles de feu Notre-Dame de Paris. Il m’a plu de dépenser inutilement ce temps, tendu à l’écoute de l’Anneau de Wagner dans la version dirigée par Georg Solti, dont je conserve pieusement les coffrets. Les mélodies ininterrompues reconduisent 15 ou 20 ans en arrière, comme une violente jetée rétrospective de la musique qui se referme sur soi.

jeudi 10 septembre 2020

BLAGUE

    Il y a quelques semaines je recevais un courriel très amical du journaliste Frédéric Martel, à l’occasion de la republication de la biographie de Rimbaud par Jean-Jacques Lefrère. Ce matin, c’est plutôt une brève humoristique de Marc Angenot m’annonçant ce qui circule dans les media en France et ailleurs, l’appel solennel lancé par d’éminentes figures du milieu politique et intellectuel, depuis Roselyne Bachot, actuelle ministre de la culture, jusqu’à Olivier Py ou Annie Ernaux, appel adressé donc à cet autre fin lettré, ancien scribe du philosophe Paul Ricoeur et premier citoyen dans l’hexagone... Car on croit dabord à un canular – ou à ce qui fut l’une des spécialités du XIXe siècle, du dernier tiers particulièrement – la catégorie de la « blague » dans ses variantes fumistes – et concernant deux zutistes notoires, il y a vraiment de quoi être sur ses gardes. Voici la pétition, par ailleurs consultable à l’adresse suivante – https://www.change.org/p/président-de-la-république-pour-l-entrée-au-panthéon-d-arthur-rimbaud-et-paul-verlaine :

« Appel au président de la République

 

Ce qu’on dit aux Poètes à propos du Panthéon – Pour l’entrée au Panthéon d’Arthur Rimbaud et Paul Verlaine

 

Arthur Rimbaud et Paul Verlaine sont deux poètes majeurs de notre langue. Ils ont enrichi par leur génie notre patrimoine. Ils sont aussi deux symboles de la diversité. Ils durent endurer « l’homophobie » implacable de leur époque. Ils sont les Oscar Wilde français.

Ce ne serait que justice de célébrer aujourd’hui leur mémoire en les faisant entrer conjointement au Panthéon, aux côtés d’autres grandes figures littéraires : Voltaire, Rousseau, Dumas, Hugo, Malraux.

Et ceci pour quatre raisons principales :

Littéraire d’abord, parce que le génie multiforme et les influences croisées des deux poètes ont nourri depuis plus d’un siècle notre imaginaire littéraire et poétique. 

Politique ensuite. C’est dans l’œuvre de Verlaine que l’on a puisé en 1944 le message annonçant le débarquement en Normandie à l’intention de la résistance intérieure – le vers célèbre « Les sanglots longs des violons de l’automne/ Bercent mon cœur d’une langueur monotone ». C’est vers la figure emblématique de Rimbaud que l’on se tourne dès qu’une révolte éclate, surréaliste ou étudiante, comme en mai 68, ou lorsqu’il est question de « Changer la vie », le slogan de la gauche des années 1970.

Morale encore. Les deux poètes sont enterrés dans leurs caveaux familiaux : Rimbaud avec son ennemi et usurpateur, Paterne Berrichon. À Charleville, sa tombe « étriquée, avare » confirme que sa vie « lui a été volée », comme l’écrit Yves Bonnefoy. Quant à Verlaine, il est enfoui dans un caveau sous la poussière près du périphérique sous d’affreuses fleurs en plastique au cimetière des Batignolles. Est-ce ainsi que la France honore ses plus grands poètes ?

Judiciaire enfin. En 1873, Paul Verlaine a été condamné à deux ans de prison pour avoir tiré deux coups de révolver sur Rimbaud. Ce dernier, dont la blessure était légère, s’est désisté de toute action en justice. Mais le parquet belge et la police française ont monté un dossier à charge, dont les archives prouvent désormais qu’il fut lié à son rôle dans la Commune et à son homosexualité. Il est resté 555 jours en prison, quand il aurait dû n’y passer que quelques semaines. Et on sait aussi que la préfecture de Police de Paris a favorisé l’aggravation de sa peine en raison, précisément, de ce « drôle de ménage ».

Pour toutes ces raisons politique, morale, judiciaire, et d’abord littéraire, il nous semble que l’entrée parallèle au Panthéon de Rimbaud et Verlaine, serait un geste d’une portée symbolique considérable. »


Le plus incroyable est évidemment largumentaire et ce qui le fonde. Et il convient de lire en regard les réactions exprimées de France-Culture au Figaro... pour se donner une idée du spectre.

lundi 7 septembre 2020

BINGO

     Dans la collection de pillules, et autres cachets, qui doublent et masquent au fond de  leur tube multicolore les livres et les usuels rangés un à un sur le bureau, ce sont les prévenances pharmaceutiques qui retiennent immédiatement l’attention, l’étiquette rouge vif apposée sous le couvercle : « Les opioïdes peuvent causer une dépendance, une toxicomanie et une surdose. » En tournant, ils font un bruit de grains de riz, prêts pour quelque jeu de société. Le bingo du malade.

samedi 5 septembre 2020

TOUT L'UNIVERS

       Pessoa-Álvaro de Campos. « Salut à Walt Whitman » dans la section des grandes odes. L’élan à célébrer les Feuilles d’herbe, « Je sais que te chanter ainsi n’est pas te chanter – mais qu’importe ? / Je sais que c’est tout chanter, mais tout chanter c’est te chanter » (Œuvres poétiques, p. 275) vérifie – outre ici certains nouages ou accents particuliers : sensation-sensualité-homosexualité – l’ampleur impressionnante du barde américain pour les générations littéraires des années 1880-1920, les questions modernistes et avant-gardistes qu’elles agitent. « Tout l’Univers de choses, de vies et d’âmes, / Tout l’Univers d’hommes, femmes, enfants, / Tout l’Univers de gestes, d’actes, d’émotions » (ibid., p. 276).