Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 2 juillet 2022

CRITIQUE DES SAVOIRS

    En ouverture de son essai Panique identitaire (PUF, 2022), Isabelle Barbéris déclare : « Sous la forme d’une critique de la culture et de ses productions symboliques, cet ouvrage tente d’y voir plus clair dans les rouages de l’âge identitaire et de son corollaire imaginaire, le régime identitaire des signifiants auxquels nous sommes exposés et qui nous façonnent » (p. 22). Dans le même ordre d’idée, mon projet serait d’esquisser une critique des savoirs envisagée comme éthique et politique des savoirs, et cela implique d’interroger le nouveau régime identitaire des savoirs – en passant notamment par ce lieu commun que sont non seulement l’injustice épistémique mais la décolonisation épistémique. Cette critique comme poétique (voir post du mois précédent) noue la question des rapports entre savoir et valeur, historicité des savoirs et historicité des valeurs. Critique ouverte sur le problème de l’inconnaissance (Barthes) comme régime de la pensée à rebours du caractère indiscutable et irréductible des identités.

HOMÉLIES ENVIRONNEMENTALES

   Dans ce qui anime tous ceux que Baudelaire appelait sarcastiquement les « entrepreneurs du bien public », il y a un double angle, le registre de l’équité et de la diversité, et celui du sustainable, l’écoresponsabilité (voir aussi les prêches mondiaux de Greta Thunberg, très woke generation justement, homélies suédoises avec leurs platitudes bienpensantes sur létat du monde, conjuguées aux génuflexions des foules genre Lourdes au XIXe siècle). C’est à ce niveau, à côté de la lutte contre la pauvreté et les inégalités, pour une éducation de qualité, l’accès à la santé, que s’enracinent les ODD ou objectifs de développement durable de l’ONU (voir De Guigné, p. 86 ssq). Il est pour le moins troublant de voir s’aligner sur le même régime les politiques de recherche, ainsi des critères ODD combinés aux EDI imposés par la Stratégie en matière d’équité, de diversité et d’inclusion 2021-2026 des Fonds de Recherche du Québec. Dossier en cours que j’aborderai dans ces pages ultérieurement…

L'AUTO-CORRECTION DU SAINT CAPITAL

    Un point remarquable de ce capitalisme moralisé est qu’il rend naturel l’ordre existant. Il se révèle d’autant moins contesté et contestable qu’il en devient apte finalement à se corriger. C’est probablement ce qui le rend le plus puissant et pernicieux. Voir par exemple la promotion de l’idée d’entreprise responsable ou de « finance éthique » (De Guigné, op. cit., p. 90). La capacité à adapter, assimiler et finalement dominer. Des notions à considérer sous cet angle : l’identity economics après lidentity politics ; ou la théorie du racial capitalism (cf. Nancy Leong, Harvard Law Review, juin 2013, vol. 126-8, p. 2151-2226).

CÔTÉ AUSTRALIEN

     À comparer côté australien avec la tentative de Carl Rhodes, professeur à la Business School de l’University of Technology de Sydney : Woke Capitalism. How Corporate Morality Is Sabotaging Democracy, Bristol University Press, 2022. 

MORALISER LE BUSINESS

    Analyse intéressante d’Anne de Guigné dans Le Capitalisme woke. Quand l’entreprise dit le bien et le mal, La Cité, 2022 : des États-Unis à l’Europe, le phénomène décrit qui consiste à « moraliser le business » (p. 121) sous l’effet souvent double d’un changement dans la sensibilité du personnel qui compose les conseils d’administration et à travers les attentes et comportements des consommateurs. Dans chaque cas, le rôle social voire sociétal des entreprises s’en trouve majoré en un temps où le pouvoir des États décline – malgré les reprises en main très autoritaires et les techniques de contrôle accrues des gouvernements au long de la crise sanitaire (2020-2022). On assiste plus encore à une politisation du rôle de l’entreprise qui traduit une forme de « privatisation de l’intérêt général » (p. 139). L’anthropologie identitaire sans cesse moralise la science et les savoirs, l’information et les médias, le milieu des affaires et de la production, l’art et ses créations.