Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

lundi 27 juin 2022

LA PRIVATISATION DE LA CENSURE

      Sur les trois étages de la censure évoqués il y a quelques jours. Celui des groupes de pression, sous sa forme activiste ou non, ce que Monique Canto-Sperber appelle « la privatisation de la censure » (entretien France-Culture, 23.04.2021), celle qui consiste à défendre intérêts et sensibilités en faisant taire les autres et toutes les formes possibles de désaccords. C’est celui qui fait l’objet de plus de dénis à gauche, il me semble, le lieu commun alors invoqué étant celui des rapports entre censure et pouvoir, censure et État, argument incontestable mais qui permet de passer sous silence ou de dissimuler habilement d’autres mécanismes à l’œuvre. En regard jouent la parole libérée, et la levée des tabous, un ressort particulièrement exploité à droite, s’il le faut en ouvrant les vannes de la haine.

mercredi 22 juin 2022

DECOLONIZE YOUR BOOKSHELF

     

                                                                                  © Fungus Guy. Decolonize, Sault Ste. Marie, Ontario (2014).

Nouveau paradigme ? Tout autant rhétorique du slogan. Élan critique ? Manie lexicale et prêt-à-penser. Les bibliothèques en contiennent d’innombrables titres. En anglais (et il conviendrait de vérifier dans les diverses aires francophones), on trouve parmi maints titres « decolonize » ou « decolonizing »… les institutions : democracy mais aussi the state, the university, the public libraries, museums et corrélativement the classroom experience, etc. Aussi : les domaines et les objets tels que culture, knowledge, education, pedagogy, research, theory, plus spécifiquement : philosophy, law, literature, translation et Biblical Studies, music, sciences, sociology, geography et the map, social work, politics. Ou encore : therapy, mental health, wellness, childhood, yoga (!), international relations, solidarity, equity, wealth, conservation, imagination, data, futures, Christianity, evangelicalism, ecotheology, anarchism, feminism, gender, transgender, Latinx masculinities, etc. À remarquer que dans sa version canadienne, la decolonization va souvent de pair avec une autochtonisation.

INDIGEGOGY

   Mot-valise certes. Mais dernière variante surtout en matière de décolonisation de la pédagogie. Symptôme institutionnel également : le domaine du social work et notamment de l’education (ce haut lieu par ailleurs aux États-Unis et au Canada des problématiques antiracistes en regard des facultés de droit) Le terme a été lancé par Stan Wilson. Il est caractéristique d’un discours qui stipule non seulement l’existence de savoirs autochtones (par rapport aux savoirs occidentaux sinon – sur un mode plus explicitement racial que culturel – aux savoirs blancs) mais des manières de savoir (ways of knowing), ou encore des savoirs orientés vers une méthodologie pratique. Voir par exemple le Center for Indigegogy de l’Université Wilfrid Laurier.

PROPAGANDE RÉACTIONNAIRE

 À noter, l’imminente publication du livre de Francis Dupuis-Déri (https://luxediteur.com/catalogue/panique-a-luniversite) : Panique à l’université. Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires (Montréal, lux, 2022) : « Plusieurs poussent des cris affolés à propos d’une Université soi-disant assiégée par les féministes et les antiracistes, qui menaceraient jusqu’à l’ensemble de la société au nom de la “rectitude politique”. Pour stimuler la panique collective, on agite des épouvantails – social justice warriors, islamo-gauchistes, wokes, gender studies – et on évoque les pires violences de l’histoire: chasse aux sorcières, lynchage, totalitarisme, extermination. Même des chefs d’État montent au front. Or, cette agitation repose non seulement sur des exagérations et des mensonges, mais elle relève d’une manipulation qui enferme l’esprit et entrave la curiosité intellectuelle, la liberté universitaire et le développement des savoirs. Pour y voir plus clair, cet essai s’intéresse à l’histoire ancienne et récente de l’Université. Il appelle à considérer la place réelle des études sur le genre et le racisme dans les réseaux universitaires – des salles de classe aux projets de recherche –, et met en lumière les forces qui mènent la charge aux États-Unis, en France et au Québec. Ultimement, il s’agit d’un exercice de déconstruction d’une propagande réactionnaire. » Des déclarations à mettre à l’épreuve des faits.

mardi 21 juin 2022

TEXTE AMENDÉ ET VOTÉ

     À la fois à titre comparatif, par rapport à la version non encore amendée du 6 avril, et pour archive, le texte voté par le parlement le 3 juin et sanctionné le 7 de ce mois de la Loi 32.

vendredi 17 juin 2022

BABEL ET LES RÉSEAUX SOCIAUX

      Article de fond, qu’il faudrait discuter en détail, de Jonathan Haidt dans The Atlantic (11.04.2022), récemment traduit dans Le Point en France : Why the Past 10 Years of American Life Have Been Uniquely Stupid? État des lieux sinistre de la démocratie américaine, en lien avec le nouveau régime de l’opinion produit par les réseaux sociaux, et les méthodologies virales mises en œuvres par les industries de la communication (Facebook, Twitter, etc.). En sous-texte, l’un des points darrivée, la scène du Capitole, le 6 janvier 2021. En plus des propositions finales, notamment législatives, et le besoin exprimé de « change ourselves and our communities », c’est de nouveau la perte du ciment républicain et de l’unité – et la pensée se décline sans hasard selon la logique du mythe et des langues (diversité et dispersion), la tour de Babel, là où l’enjeu fondamental concerne la conversation démocratique. À chaque fois, la pensée du singulier commun et, partant du politique, appelle une théorie du langage qui fait défaut. Au passage, suite à une étude de Hawkins et al., « Hidden Tribes : A Study of American’s Polarized Landscape » (2018), l’observation pertinente au plan sociologique portant sur les marges activistes de droite et de gauche, comme voix dominantes dans les médias sociaux : « These two extreme groups are similar in surprising ways. They are the whitest and richest of the seven groups, which suggests that America is being torn apart by a battle between two subsets of the elite who are not representative of the broader society. What’s more, they are the two groups that show the greatest homogeneity in their moral and political attitudes. »

COMMON GROUND

   En lisant Social (In)Justice (Pitchstone Publishing, Duke, 2022) de Lindsay et Pluckrose, sorte de compendium ou de synthèse de Cynical Theories, cela ne m’avait pas d’abord frappé, mais la même hantise de la société de l’affrontement, la peur de perdre le « common ground » – une posture assez proche du centrisme de Haidt et Lukianoff : « They’re still your classmates, peers, co-workers, friends, and family members, or maybe even your teachers and bosses. You likely have a lot in common. » Plus loin : « If both sides listen to each other in good faith, however, we can find common ground » (p. 16). De ces vertueuses injonctions et intentions (in good faith), qui font l’économie d’une théorie conjointe du langage et du politique, ce qui ressort c’est le sentiment de la précarité : l’aveu de fragilité. Des lignes de faille qu’on sent arriver au Canada, et qui se sont pour l’instant jouées en suivant la césure traditionnelle anglophones/francophones. Dans le commun groundse noue le continu entre le politique (le demos), la culture (le divers) et le langage (la communication et les langues). Pour une variante québécoise, un échange journalistique au double titre éloquent, de nouveau à propos d’un cas de « cancellation » : « Faut se parler » (10.06.2022) et « Faut vraiment se parler » (16.06.2022).

LES TROIS CENSURES

      Dans le phénomène dit de cancel culture, ce qui se trouve mis à jour ce sont trois niveaux de censure : celui de l’État, le plus connu, sur lequel on s’est longtemps focalisé en vertu du lien présupposé entre censure et pouvoir ; celui des institutions, décideurs et autres gestionnaires, qui font ingérence, de David Schor à Wendy Wesley en passant par les universités et les milieux de la culture ; celui des groupes de pression au nom d’une parole horizontale et inclusive (voir l’exemple récent de l’affaire Marty, dans laquelle n’interviennent ni l’État ni les administrateurs).

mardi 14 juin 2022

TOWARD A DIFFERENT LEFT

 

Fucking Cancelled (https://fuckingcancelled.libsyn.com). Trouvaille d’IA : les podcasts d’étudiants activistes, critiques du nexus, sorte de synthèse des modèles identitaires, médias sociaux et de la culture du bannissement. Fraîcheur des conversations dans leur bouillon spontané. « Fucking Cancelled is a podcast with three aims. First, we analyze and critique a phenomenon on the left that we call the nexus: a synthesis of identitarianism, social media, and cancel culture. Second, we offer emotional, spiritual, and ethical insights into the process of rejecting and exiting the nexus. Third, we move toward a different vision for the left grounded in solidarity, freedom, and responsibility. We are leftists who have spent many years inside the nexus. We have been too afraid to critique it and we have suffered the consequences of critiquing it. We know all too well the destructive impact the nexus has on our communities, our movements, our spiritual, emotional, and mental health, and our capacity to be responsible, ethical actors. We are also recovering addicts who live our lives by a set of spiritual and ethical principles which are starkly at odds with the rules of the nexus. We offer these principles as a guiding light toward a different left. Fucking Cancelled is a podcast for anyone who feels stifled or trapped by the authoritarian, punishing culture that dominates the left. It’s a podcast for anyone who is too afraid to say what they really think. It’s a podcast for people who have been cancelled, who are afraid of getting cancelled, or who have taken part in the cancellation of others and wondered if it was right. Fucking Cancelled is a podcast for leftists who dream of a left grounded in solidarity, freedom, and responsibility, rather than coercion, authoritarianism, and punishment. » Le vrai réveil, il est là, dans ces réactions, dans ces réflexions, les effets de distance. Le questionnement.

WOKE MOB ET GESTIONNAIRES

    Encore une histoire à dormir debout de « cancellation » rapportée par Tom Bartlett : Georgetown Reinstated Him After a Controversial Tweet. He Quit Anyway (The Chronicle of Higher Education, 07.06.2022), celle d’Ilya Shapiro à l’école de droit de l’Université Georgetown. Les invariants y sont rassemblés, le même narratif, un schéma actanciel qui se décline ainsi : intervention professorale et liberté d’expression, commentaires sur les médias sociaux, l’effet woke mob et haro, ingérence des décideurs et gestionnaires, suspension avec salaire, reprise conditionnelle du poste, etc. Pathetic (au sens anglais et français du terme). Lecture en vue, pour prendre la mesure et la genèse des mutations du free speech sur les campus états-uniens et nord-américains : Greg Lukianoff, Unlearning Liberty. Campus Censorship and The End of American Debate (New York, Encounter Books, 2014). Quatre ans avant The Coddling.

dimanche 12 juin 2022

ENTRETIEN SUR LA LOI 32

     Retour et mise au point sur la loi 32 visant à reconnaître, promouvoir et protéger la liberté universitaire : Normand Baillargeon, Conversation avec Yves Gingras (Le Devoir, 11 juin 2022). D’autant plus significatifs dans un quotidien qui a passé sous silence l’événement jusque-là, de même qu’il n’a dit mot en septembre 2021 des sondages publiés par la commission Cloutier sur la censure et l’autocensure des professeurs d’université... On appréciera au détour les coups de griffe donnés aux tenants de la panique morale – variante d’une gestion du désaccord ou tentative de « pathologisation du débat » public.

samedi 11 juin 2022

BROUILLON

     Dans l’écheveau des pistes et des lectures, encore. Vesperini sur la cancel culture. La critique woke (c’est-à-dire convenue) des wokes, version typiquement française et petite-bourgeoise de gauche. Superficiel. En outre : ce sentimentalisme qui  a pris la place d’une pensée véritablement critique et progressiste. Cette rhétorique me pue vraiment de plus en plus, et ne me rend guère indulgent, je dois l’admettreLe concept mis au centre n’est pas vraiment construit ni théorisé, en dépit de remarques pertinentes sur la statue de Jefferson, l’attaque contre les études classiques, ou « l’anthropologie puritaine » (p. 166) de la culture du bannissement. La plupart des travaux en ce domaine ne décollent vraiment pas jusque-là. Voir aussi quand même le roman d’Abel Quentin, Le Voyant d’Étampes, Éditions de l’Observatoire, 2021.

RECONNAISSANCE

    La promotion populaire, presque rituelle, des institutions, entreprises, organisations publiques, communautés et individus, de la reconnaissance ; et en premier lieu, celle des terres et des territoires. Telle université par exemple déclarant qu’elle est « located on land which has long served as a site of meeting and exchange amongst Indigenous peoples, including the Haudenosaunee and Anishinabeg nations. » Ou au bas de courriels administratifs. Jusqu’à l’équipe des Canadiens de Montréal envers la Nation mohawk (La Presse, 18.10.2021). Reconnaître. Et puis, après ? Le conservatisme que dissimulent ces déclarations vertueuses, dont l’emphase parfois larmoyante a des allures de prière chez certains. On se croirait à la messe, marmottant sur les bancs de l’église un missel à la main. Des militants ne s’y trompent pas : Glen Sean Coulthard, Peau rouge, masques blancs. Contre la politique coloniale de la reconnaissance, Lux, 2021. Ce qui m’importe : l’origine hégélienne du concept, en vertu d’une relation dialogique entre les sujets. À interroger au point de vue d’une poétique et politique de l’altérité, des liens entre éthique et langage.

EXTRACTIVISME

    Aussi : se mettre au clair avec le « concept » activiste d’extractivisme dans lequel entrent au départ une écopolitique et une critique du capitalisme (sur la base des ressources naturelles) mais qui se décline également à la manière décoloniale : la version nord-américaine, spécialement canadienne pour ce que j’en connais, associe cet extractivisme à la question des terres (l’histoire de leur conquête) et du processus de dépossession – s’alliant de la sorte à une approche autochtonisée. Et pour terminer : l’extractivisme épistémologique de la science occidentale sur d’autres savoirs (voir certains liens avec le lieu commun de l’appropriation culturelle).

DE- DE DECOLONIZE

    Dans l’écheveau des pistes et des lectures : faire un sort à la question décoloniale (et au continu-discontinu) postcolonial-décolonial – travailler sur quelques-uns des repères fondamentaux (Walter Mignolo, etc.) ; en vérité, il m’est moins essentiel dans l’immédiat de partir des économies théoriques que d’abord de la rhétorique des slogans ou des injonctions politiques : decolonize – décoloniser et la déclinaison ouverte des objets : décoloniser la science, les méthodologies, l’épistémologie (mâle-blanche, etc.), l’enseignement et les curricula, les bibliothèques (voir les délires états-uniens actuels en ce domaine), la culture, la société. Dans le préfixe, il y a la logique « à rebours » de l’histoire (le processus concret du settlement et la colonisation des catégories intellectuelles et culturelles), la contre-histoire ; il y a le geste privatif /subversif– critique et même polémique ; mais il n’entre pas dans ce négatif de valeur à tous les coups dialectique : le de de  decolonize-décoloniser peut aussi relever du cancel.

REPRÉSENTATIONS

     Cette autre observation de Piketty selon laquelle les divers groupes discriminés sont surreprésentés au sein des classes populaires. Impossible de ne pas mettre ce fait en rapport avec la rhétorique de l’affirmative action et l’obsession qui porte à l’inverse sur la sous-représentation de ces mêmes groupes dans les médias, à l’université, dans la classe politique ou les affaires. L’accent qui est porté sur la sous-représentation des groupes dans le monde des élites a pour fonction exacte d’occulter la surreprésentation des groupes du côté des classes pauvres ou dominées. Il permet de passer habilement sous silence le déficit des politiques correctives en matière de justice socioéconomique. C’est dans cet écart que s’enracine la moraline des sympathisants de gauche et autres donneurs de leçons. C’est encore de cette faille que se nourrit le virtue signalling, cette posture d’aveu de qui a depuis longtemps renoncé à changer le monde, et tire sa pleine jouissance au contraire de l’ordre existant.

LE VERTUISME INSTITUTIONNEL

     En regard, de quoi comprendre le piège collectif des idéologies, et des slogans comme le « racisme systémique », cet autre exemple catastrophique de vertuisme institutionnel, rapporté par Isabelle Hachey dans sa chronique : https://www.lapresse.ca/actualites/chroniques/2022-06-11/infirmieres-de-joliette-congediees/sacrifiees-sur-l-autel-de-la-vertu.php. Inutile d’appuyer sur les parallèles avec d’autres lieux ou milieux, ils sont trop évidents.

FAIT SOCIAL TOTAL

       Thomas Piketty, Mesurer le racisme vaincre les discriminations (Seuil, coll. « Libelle », 2022). On peut être en désaccord ou non avec l’appel à « inventer un nouveau modèle français et européen, transnational et universaliste » (p. 12) s’il est vrai que la tendance des chercheurs français consiste trop souvent à penser que les choses hexagonales sont nécessairement universelles, ou que ce qui se passe sur leur territoire se vérifie ailleurs (en ignorant superbement ou mésinterprétant alors cet ailleurs). Il reste que dans le cas de Piketty la pensée est au contraire adossée aux précautions comparatistes, propose une méthodologie, se dote d’instruments concrets de mesures. Loin des spéculations idéologiques, au lieu du dogme sur le « racisme systémique » par exemple, le racisme pris comme « fait social total ». Dans un contexte où sont privilégiés les faits, Piketty réinscrit la justice raciale dans la justice socioéconomique, seul moyen de lutter réellement contre les discriminations, à rebours du paradigme culturel. Pour cette raison que les catégorisations raciales et les catégorisations sociales sont historiquement liées ; que ces divisions socio-raciales ne se séparent pas à leur tour des écarts de statuts et de richesses.

samedi 4 juin 2022

POPULISME DE GAUCHE

   Le court essai d’Assouly sur la cancel culture. Prise juste sur les fractures de la société états-unienne, spécialement la question raciale, le lien à « la colère des groupes minoritaires en mal de justice et de reconnaissance » (p. 21) comme la demande de révision historique – donner voix aux exclus et aux vaincus de l'histoire. En marge : quelques contournements rhétoriques que l’on trouve également chez Laure Murat devant la violence abréactive et punitive – cette complaisance audible chez certains collègues, prêts à relativiser et à banaliser, l’attitude symptomatique d’une gauche incapable d’assumer ce fait qu’elle censure aujourd’hui au même titre que la droite, incapable par conséquent de pratiquer son autocritique. L’argumentation convainc peu lorsque l’auteure tend à qualifier la « censure populaire » sous l’angle de « dérives », « excès » ou « débordements ». La corrélation avec le courant woke est mieux saisie ; mais elle l’est plus au plan idéologique qu’au plan sociologique ; par contre, le phénomène est dûment caractérisé comme « populisme de gauche » (p. 36). Un élément capital est le tableau comparatif : la méprise qui entoure la réception de la cancel culture et du courant woke en France, « des concepts souvent inadaptés à nos problématiques » (p. 39). Voir la mésaventure personnelle à Mediapart à l’automne dernier (ou comment parler sur la base d’un malentendu). Il manque en contrepoint à cette analyse d’autres pays de référence : Royaume-Uni, Canada et Australie par exemple. Car c’est un enjeu particulier aux sociétés anglophones, il me semble. À rebours, la stratégie du pouvoir macroniste, de la controverse délirante sur l’islamo-gauchisme au colloque de la Sorbonne en janvier 2022 sur la déconstruction, sans parler d’autres épouvantails ridicules comme la French Theory, est bien pointée.

vendredi 3 juin 2022

LA LOI 32 ENFIN ADOPTÉE

      Mise au point concernant les rapports de forces parlementaires par Hugo Pilon-Larose (La Presse, 03.06.2022) en vue du vote du projet de loi 32. Se pourrait-il que le Québec écrive une page de son histoire ? C'est fait ce matin, au parlement, depuis 11 heures. La loi sur la liberté universitaire académique est enfin adoptée : 88 voix pour ; 0 voix contre ; 8 voix en abstention (Archives Assemblée nationale : vidéo – curseur à - 1h 35).

LA SORNETTE DES PRIVILÈGES

     À croire que certaines consciences se réveillent – les contre-discours sur les lieux communs autour des privilèges blancs, etc. «  What Happens When You Educate Liberals about White Privilege ? » (Zaid Jilani, Greater Good Magazine, Berkeley, 20.05.2022). Au-delà : ce que cela pointe surtout, c’est le conservatisme socio-économique d’une partie de la gauche, ralliée sous couvert de thématiques anti-discriminatoires, au néolibéralisme ambiant. Elle y aura perdu de vue ses utopies et le sens critique de l’histoire.