Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 20 décembre 2023

APRÈS USAGE

Quand je lis MBC, une rhétorique à raccourcis, la stratégie de neutralisation des sources, les emprunts explicites et les larcins non déclarés, de Foucault à Finkielkraut, sorte de pot-pourri de ce que Serge Audier appelait la « pensée anti-68 », et qui trop souvent est un commentaire du commentariat médiatique, substitut d’une pensée de la société, je me dis que décidément la droite n’a jamais d’idées, elle prend tout à la gauche. Sa pensée est à l’image du tas d’ordures après usage. Ou d'un écocentre, si l'on veut faire dans le noble absolument.

DU MILIEU

    Sur l’extrême-centre qui se radicalise, c’est une inversion et une réponse à Alain Deneault et sa critique des politiques de l’extrême-centre. Ce dernier y voyait l’expression d’un « extrémisme » ou d’une « intolérance à tout ce qui ne cadre pas avec un juste milieu arbitrairement proclamé » (Montréal, Lux, 2016, p. 43). Ainsi : être libéral mais de gauche, célébrer la justice sociale sans contester les lois du capitalisme, etc. En bref : un mode d’être moyen en tout – économie, société, culture, politique – auquel l’auteur oppose sans ambiguïté cette injonction finale : « Radicalisez-vous ! » (p. 93). Ironie du réactionnaire qui inverse le raisonnement et la conclusion.

CENSURE CIVILISATRICE

D’un côté, la gauche théologique et la relecture religieuse de l’histoire des gauches, effet Raymond Aron sur les religions séculaires ; voir Gauchet encore, la condition religieuse vs la condition historique ; et c’est un point plus intéressant, réactivité du conservateur aux mutations du libéralisme politique, sa rencontre avec les thématiques d’extrême-gauche (il les siphonne et recycle en vérité)  ; les nouveaux contrôles exercés sur les libertés publiques, de la crise sanitaire à la liberté d’expression. Des accents presque foucaldiens et des allusions sans équivoque à ce sujet comme le grand enfermement. Détournement de Histoire de la folie et de Surveiller et punir en regard du goulag. Piège. Sur la culture du contrôle, néanmoins cet exemple : l’éloge du rôle civilisateur de la censure selon la première ministre néozélandaise Jacinda Arden devant l’ONU. En regard, la critique de la reprise en mains normative voire répressive des démocraties contre les fakes news, les contre-récits et conte-paroles des nouveaux forums des réseaux sociaux, etc. Cognée pertinente mais coûteuse parce que fondée par ailleurs sur des amalgames relatifs aux cadrages juridiques des hateful speeches en ligne, etc. Point à dénouer en tous cas.

RÉGIMES

   Après le gramscisme de droite de Beauregard, les attaques contre ce que MBC appelle le « régime diversitaire », synonyme du « régime totalitaire ». On se demande bien quel régime lui oppose l’auteur. L’universel ? La critique contre la vision multiculturaliste est en tous cas largement dominée par une anthropologie d’inspiration chrétienne, une économie de la chute et du mal. Philologie à reconstruire sur « diversitaire » qu’il m’est arrivé d’utiliser par le passé à titre descriptif mais qui ne peut pas l’être. Trop équivoque et lourd de sens. Le régime diversitaire se serait généralisé en s’adaptant aux différentes sociétés-cultures et systèmes politiques, ce qui fait peu de cas de l’histoire, des institutions, des manières, des pratiques, du champ de valeurs des pays respectifs. Peut-être en faire un chapitre.

EXTRÊMES

   L’hypothèse que Bock-Côté admet être contre-intuitive – et elle est même douteuse, relevant d’une stratégie de légitimation – est que l’extrême-droite, sorte d’étiquette servant à représenter l’ennemi à abattre dans le camp de la gauche, ce qui dans certains cas est pertinent, servirait les intérêts de l’extrême-centre – le trudeauisme et le macronisme en seraient deux illustrations des deux bords de l’Atlantique – et point intéressant : ce serait un mot de gauche – mal défini et à fonction polémique ; exactement comme woke d’après Cusset et consorts est un mot de droite, à oublier. Grimaces intellectuelles en miroir.

IT'S DÉJÀ-VU

   En l’occurrence, ce totalitarisme serait « sans goulag » car il serait à visage humain. Et l’effet de mention n’échappe à personne : Bernard Henri-Lévy et la veine réactionnaire des « Nouveaux Philosophes ». La pensée 68, etc. C’est dans ce cadre que s’établit la démarche. L’autre morceau, c’est Soljenitsyne, et un point sur lequel il faudrait longuement s’interroger, car cette contre-tradition à revers de la gauche et de son histoire est en train de s’enraciner, c’est l’autobiographie du « mal-pensant » (p. 168). Bien sûr, c’est une réplique au Politically Correct. Mais à travers son anthologie, Kundera, Milosz, Scruton, c’est la célébration du personnage du dissident. Et là, la source influente, c’est Gauchet : la ligne issue de la gauche anticommuniste – antitotalitaire avant le virage libéral-conservateur via Lefort. D’autres lieux communs empruntés à l’identité culturelle du côté de Finkielkraut.

LA DÉMOCRATIE TOTALITAIRE

    De lui-même, le titre est absurde : Le totalitarisme sans le goulag (Les Éditions de la Cité, 2023). Il se place dans la même veine que La révolution racialiste et L’empire du politiquement correct. Au reste, le propos se tient en avant du seul phénomène « woke » qui n’est lui-même qu’un révélateur d’un totalitarisme à l’œuvre dans les démocraties de plus en plus illibérales. Dans la littérature conservatrice, c’est l’un des deux lieux communs avec l’association religieuse (v. Braunstein). Cela croise ici les propos de Heinich sur le totalitarisme d’atmosphère. On est du côté des gros concepts selon Deleuze, dans l’approximation et l’absence de rigueur qui ne s’embarrasse pas de définition. Le terme même n’est jamais défini par MBC ; presque pas de travaux convoqués, encore moins le classique de Arendt.

jeudi 7 décembre 2023

SURVIVRE À L'INJUSTICE : ENTRETIEN AVEC VERUSHKA LIEUTENANT-DUVAL

   Entretien de Dr. Martin Drapeau avec Verushka Lieutenant-Duval (06.12.2023) : https://www.youtube.com/watch?v=64nf33Kxn_w. À écouter absolument.

« Dans cette émission, le Dr. Drapeau s’entretient avec Verushka Lieutenant-Duval, dont l’histoire a fait le tour du monde. Alors qu’elle enseignait à l’Université d’Ottawa, elle a eu le malheur de faire référence à la notion, pourtant largement connue et amplement discutée non seulement dans le milieu universitaire mais aussi dans le milieu des arts, selon laquelle certains groupes historiquement marginalisés peuvent se réapproprier un terme qui était à l’origine utilisé pour les dénigrer. Pour illustrer, elle a cité des exemples. Or, une étudiante a jugé offensante l’utilisation d’un seul de ces mots, celui désormais connu comme « le mot en n », malgré le fait que le plan de cours indiquait clairement que certains contenus abordés pourraient en choquer certains. La sentence fut rapidement prononcée : la suspension quasi-immédiate de Verushka. La suite fut bien pire : le lynchage public. Son histoire en est une qui illustre certaines dérives et la radicalisation de nos sociétés, mais aussi de nos universités. Elle en est une d’injustice. Mais elle en aussi une de résilience et de compassion. Pour lire l’article d’Isabelle Hachey mentionné dans l’entretien, voir : https://www.lapresse.ca/actualites/20... Pour lire d’article d’Émilie Dubreuil, aussi mentionné dans l’entretien, voir : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle... Un an après leur gestion pour le moins désastreuse de la situation, le Recteur de l’Université d’Ottawa, Jacques Frémont, et le Doyen des arts, Kevin Kee, n’avaient formulé aucune excuse. Nous voici trois ans plus tard. Et toujours sans excuse. Nous vous invitons aussi à consulter le premier épisode d’une expérience humaine: https://www.youtube.com/watch?v=653j8BofI9k. Le Dr Drapeau est psychologue clinicien et chercheur et professeur à l’Université McGill. Il est cofondateur des Services Psychologiques Médipsy (www.medipsy.ca) et d’Asadis Formation Continue (www.asadis.net). Les avis et opinions exprimés dans le cadre de ce podcast ne constituent pas de la psychothérapie ni une évaluation diagnostique. Le Dr Drapeau est psychologue clinicien et chercheur et professeur à l’Université McGill. Il est cofondateur des Services Psychologiques Médipsy (www.medipsy.ca) et d’Asadis Formation Continue (www.asadis.net). Les avis et opinions dans le cadre de ce podcast ne constituent pas de la psychothérapie ni une évaluation diagnostique. »