Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

lundi 24 mai 2021

LA LANGUE ÉGALITAIRE

    Réaction dans La Presse (en date du 16.05.2021) de la décision ministérielle française sur l’écriture inclusive : Anick Peletier, vice-présidente de « Langage de marque Bleublancrouge ». De nouveau, le monde entrepreneurial et l’idéologie managériale. L’auteure se définit comme « langagière », titre que n’importe quel quidam pourrait revendiquer et qui n’a d’autre fonction que de dissimuler une absence complète de compétence – notamment en sciences du langage. Rapide historique qui place la coupure au XVIIIsiècle avec la « stabilisation » de la règle morphologique du masculin et du féminin : « Autrefois, la langue était plus égalitaire ». Ce qui – outre l’idéalisation et la méconnaissance du passé, et spécialement du statut et de la condition des femmes sous l’Ancien Régime – fait évidemment problème. Car le jugement serait opératoire pour la société – ce qui était tout sauf le cas, je viens de le rappeler. À cela s’ajoute deux lieux communs. Le réflexe comparatiste : « Le français n’est pas la seule langue genrée. Par contre, certaines langues utilisent une forme neutre. Ainsi en Finlande, il n’y a pas de genre et le pronom de la troisième personne « hän » signifie « il » et « elle » à la fois. Je serais d’ailleurs curieuse de savoir s’il existe dans ce pays une corrélation entre l’égalité homme/femme et la neutralité de la langue. » L’argument exploite la polysémie du mot « genre », la catégorie grammaticale et l’emploi dans le domaine de la taxinomie biologique, à quoi se combinent les théories socioconstructivistes du gender. C’est aussi l’effet de la stylistique comparée ; les capacités et les moyens expressifs des langues. Mais ces déclarations naïves se mesurent à l’économie méthodologique (qu’est-ce qu’on compare ? comment l’on compare ?) ; à l’ignorance absolue surtout de ce qu’a été le comparatisme linguistique qui a dominé au long du XIXe siècle, notamment en Europe, de ses limites comme de ses contributions, etc. Le réflexe éclectique – qui tient lieu d’une démonstration, où l’on mélange des questions qui ne sont pas sur le même plan : « Au lieu de dire “e-mail”, par exemple, nous utilisons couramment le mot courriel. Nous avons adopté la féminisation des titres, comme “madame la directrice” plutôt que “madame le directeur” bien avant nos cousines et cousins français. » Être à l’avant-garde surtout, en vertu d’un parallèle convenu Québec-France. La stratégie défensive régulièrement avancée de cette linguistique fantastique (comme dirait Sylvain Auroux, et depuis l’Antiquité il y en a eu tant), contre les opposants à l’écriture inclusive, et ce topos est aussi pauvre que couramment répandu, est l’accusation de « réactionnaire ». C’est le geste idéologique, qui traduit trop souvent l’incapacité à s’installer dans le savoir et au point de vue critique des savoirs, en vertu d’un amalgame entre la critique et le classement-déclassement idéologique. Le risque à terme est de disqualifier la science elle-même comme réactionnaire, et c’est malheureusement l’une des formes que prend l’irrationalisme de gauche aujourd’hui. Le problème de base de ce genre de rhétorique militante est d’envisager la langue comme (plus ou moins) égalitaire. On pourrait croire ce jugement absurde. Il l’est ; plus simplement, une telle thèse n’est pas falsifiable. Elle n’est ni vraie ni fausse. On ne peut la contrôler empiriquement. Il y a une raison à cela – propre à l’idéologie diversitaire actuelle : le jugement selon lequel la langue serait ou non égalitaire n’est tout simplement pas un jugement linguistique. On demande à la langue, à laquelle on prête des propriétés performatives de représenter et accomplir une réalité qui est celle de la société. La question qui lui est posée l’est extérieurement. Comme toujours, la linguistique woke n’est qu’une énième variante de la politique des bonnes intentions. En plus d’être une science imaginaire.