Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

vendredi 10 septembre 2021

VIRTUE HOARDERS

     Cette référence qu’Isabelle Arseneau me signale, et va dans le même sens que les préoccupations dont mes derniers posts font état : Catherine Liu, Virtue Hoarders: the Case against the Professional Managerial Class (University of Minnesota Press, 2021). L’auteure se place à l’Université de Californie, Irvine, dans le domaine des Film et Media Studies (https://www.faculty.uci.edu/profile.cfm?faculty_id=5274). Elle précise par ailleurs dans sa courte biographie, non sans humour : « She tweets at @bureaucatliu and her views do not reflect those of her employer »… Concernant Virtue Hoarders :  « A denunciation of the credentialed elite class that serves capitalism while insisting on its own progressive heroism Professional Managerial Class (PMC) elite workers labor in a world of performative identity and virtue signaling, publicizing an ability to do ordinary things in fundamentally superior ways. Author Catherine Liu shows how the PMC stands in the way of social justice and economic redistribution by promoting meritocracy, philanthropy, and other self-serving operations to abet an individualist path to a better world. Virtue Hoarders is an unapologetically polemical call to reject making a virtue out of taste and consumption habits. »

jeudi 9 septembre 2021

LES TROIS VERTUS MANAGÉRIALES

      Dans La Diversité contre l’égalité (The Trouble with Diversity. How We Learned to Love Identity and Ignore Inequality, 2006 – Éditions Raisons d’agir, 2009, p. 18), Walter Benn Michaels résume nettement l’enjeu d’un trait : « La diversité est d’ores et déjà devenue le gauchisme des classes supérieures ». Les trois vertus théologales que l’État nous vante, « diversité », « équité », « inclusion » sont trois vertus managériales, théorisées et acclimatées en Amérique du Nord et dans les démocraties libérales d’Europe occidentale par les milieux d’entreprises, les écoles de commerce, etc. La diversité et le paradigme culturel marquent une nouvelle poussée du néolibéralisme, et WBM rappelle que c’est en 1978 que la Cour suprême américaine rend légales dans les universités les politiques d’affirmative action – pourvu qu’elles contribuent à la diversité. La décennie des premières manifestations de la logique néolibérale. Il est intéressant de situer la commission Abella dans les mêmes eaux – avec les particularités canadiennes, mais le comparatisme avec le voisin états-unien est constant ; en plus d’un focus porté sur la condition des femmes. Tout ceci en phase avec la promotion des droits de la personne – comme pression démocratique. La difficulté que cela pose c’est que la version néolibérale actuelle de la diversité, imposée par l’État aux établissements de savoir, non seulement se décline sur le modèle des entreprises mais les convertit en instrument de reproduction des inégalités socioéconomiques et socioculturelles, à rebours non seulement de l’utopie de l’academic justice, chantée par les militants, mais de la mission de ces établissements au sein des sociétés.

IN DUBIOUS BATTLE

    Déclaration lumineuse de Bobby Seale, cofondateur du Black Panther Party : « Ceux qui espèrent obscurcir notre combat en insistant sur les différences ethniques aident au maintien de l’exploitation des masses, c’est-à-dire des Blancs pauvres, des Noirs pauvres, des bruns, Indiens, Chinois ou Japonais pauvres, bref, de l’ensemble des travailleurs. » (Seize the Time. The Story of the Black Panther Party and Huey P. Newton, Baltimore, Black Classic Press, 1970, p. 71). Pas de capitalisme noir par exemple pour lutter contre le capitalisme ; on dirait aujourd’hui : pas de capitalisme diversitaire. Phrase prophétique, pour le moins, à rebours des illusions du contemporain et de ses combats douteux. Lucidité face à l’histoire.

CULTURE DE LA CÉLÉBRATION

      Dans le même ordre d’idées, celui de l’irrationalisme par le culte sous l’espèce de la victimisation, ce qui est une autre forme de méconnaissance sinon d’oblitération de l’autre, une antinomie éloquente à retenir est celle de Mark Mercer, président de la Society for Academic Freedom and Scholarship, de passage devant la commission ministérielle à Québec, le 26 août dernier, entre ce qu’il appelle la « culture of celebration », celle dans laquelle nous sommes tous immergés (au point qu’elle infuse collectivement les consciences et les discours), et la « culture of disputation », qui peut seule renouer avec la tradition critique des savoirs et de la pensée. Si l’on veut : la victimhood culture et la culture of celebration se tiennent réciproquement, elles s’impliquent, comme la marque de notre temps.

mercredi 8 septembre 2021

IRRATIONALISME

     Dans le titre que Suzie Kies s’arroge dans cette affaire d'autodafé, celui de « gardienne du savoir », beaucoup perçoivent légitimement, et à commencer au sein des premières nations, une forme d’imposture. L’écoute du signifiant indexe une autre référence cependant, celle du gardien du senti dans les assemblées étudiantes, relevée et analysée dans notre mémoire sur la liberté académique. On est sur le même paradigme irrationaliste. Hypothèse à suivre. 

LA CONNAISSANCE DE L'AUTRE

       L’ironie de Serge Bouchard au début du Peuple rieur, à rebours des niaiseries du politically correct : « Ils sont bien disparus ces “Sauvages” et ces “Indiens”, jetés à la fourrière des mots honnis, conspués. On les a changés en pensant changer le monde. Ne dites plus ceci ou cela, le problème s’en trouvera résolu – car nous savons tous qu’il est beaucoup moins aveugle, le non-voyant, comme elle est beaucoup moins infirme, la personne à mobilité réduite. Il semble qu’il soit beaucoup moins indien, l’Autochtone. » (p. 16-17), et plus loin l’exercice d’apprendre à nommer les nations une à une et enfin l’évidence : acquérir les langues comme condition de la connaissance de l’autre.

MUSÉE IMAGINAIRE

   Tirs croisés à gauche et à droite évidemment. Par exemple : Une odeur de cendres et de barbarie. Les analogies de l’histoire vont bon train, dans un registre non moins hyperbolique, que je trouve toutefois peu instructif. Peu de corrélations soulignées entre les déboulonnages, les pratiques de l’iconoclasme et celles de la censure à l’université, et pour finir la nouvelle didactique par les flammes, puisque les ouvrages brûlés servent au moins d’engrais. Il y a là pourtant une cohérence idéologique. Le plus stupéfiant est encore la réponse des leaders politiques, en pleines élections fédérales, qui condamnent de manière tiède et mitigée l’événement. En vérité, de telles réactions sont à peu près comparables à celles des dirigeants universitaires qui arbitrent les plaintes et les attaques au sein de leurs établissements. Jusqu’au droit de réserve émis par le premier ministre du Canada, dans ce débat fort gênant, alors que cela sort de ses rangs : n’étant pas « d’accord » avec le fait de brûler les livres, celui-ci considère qu’il n’a pas cependant à dire aux Auctochtones ce qu’ils devraient faire ou comment ils devraient se sentir – ce qui est pour le moins curieux comme déclaration de la part d’un dirigeant. Surtout, ce qui s’y entend de nouveau comme pour maints dossiers, c’est cette espèce de sacralisation de l’autre – Autochtone, Noirs, etc. – essentialisation dont les communautés visées seront les premières victimes. Cet autre célébré après avoir été jadis anéanti, massacré, asservi, méprisé, etc., constitue une nouvelle variante du musée imaginaire propre à l’homme occidental.

mardi 7 septembre 2021

DE LA CENSURE À L'AUTODAFÉ

     De mieux en mieux : un cran au-dessus, et de manière absolument cohérente, au vu des fondements idéologiques de la question, on passe de la censure à l’autodafé. 5000 livres jugés néfastes aux Autochtones, notamment Tintin et Astérix, des encyclopédies, etc., brûlés ou détruits, cérémonie de purification dans les flammes, comme geste de réconciliation… À noter, en parallèle à Nègres blancs d’Amérique, que les corpus ciblés sont aussi francophones. Voir l’article de Thomas Gerbet, Radio-Canada : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1817537/livres-autochtones-bibliotheques-ecoles-tintin-asterix-ontario-canada.

samedi 4 septembre 2021

INTERPRÉTER – TRANSFORMER

   « Die Philosophen haben die Welt nur verschieden interpretiert; es kommt drauf an, sie zu verändern. » Au fond, ces sciences militantes, moins préoccupées d’observation empirique que de justice sociale, cette utopie de la science juste constituent une déclinaison très ancienne ou une nouvelle (énième ?) variation des Thèses sur Feuerbach (1845) de Karl Marx, la XIe de préférence : « Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c'est de le transformer. »

À SURVEILLER

    Dans un autre registre, pour notes personnelles : Monique Canto-Sperber, Sauver la liberté d’expression (Paris, Albin Michel, 2021) ; Glen Sean Coulthard, Peaux rouges, masques blancs. Contre la politique coloniale de la reconnaissance (Montréal, Lux, 2021).

LE GESTIONNAIRE PERVERS

 Intervention intéressante de Simon During (University of Melbourne) dans The Chronicle of Higher Education (02.09.2021), “‘Whiteness’ and the Humanities” : par-delà le démontage des critiques adressées aux humanités (eurocentrisme, blanchité, etc.), comment ces mêmes critiques sont opportunément mises à profit par les administrateurs de certaines universités pour réduire à néant des départements sur le déclin, onéreux et peu rentables… Comme quoi : une guerre culturelle peut en cacher une autre – plus économique.

COMMENT EN PARLER

  Traversant dans La Vie des idées – et les contributions de cette nature se sont multipliées sur ce site ces dernières années – une sorte d’article-synthèse, « La race : parlons-en » (2014) par Thomas Grillot, qui tend à accumuler les preuves, il apparaît très vite au lecteur que l’enjeu n’est pas tant le fait d’en parler – comme si le geste du chercheur consistait courageusement et victorieusement à lever le tabou – et quel !  – mais plutôt comment en parler.

GAUCHE RELIGIEUSE

   Un autre aspect de l’analyse de Beaud/Noiriel, c’est la relecture du tournant socialiste de 1983, les deux auteurs y voyant le passage à une gauche culturelle. Et de fait, la sociale-démocratie va évider le PCF, avant de se faire complètement essorer quarante ans plus tard. Le point que cela soulève, ce n’est pas uniquement la transition du paradigme socioéconomique au paradigme culturel ; c’est l’alliance, désormais visible au grand jour, entre culturalisme et libéralisme et plus exactement culturalisme et néolibéralisme, bien plus que l’illusion d’antagonisme, les stratégies de résistance et de combat que nourrissent les militants de terrain. L’autre aspect, c’est que cette gauche culturelle s’est placée sur le terrain des enjeux identitaires. Elle semble encore avoir mutée de nos jours : moins peut-être en gauche divine, comme ironisait Baudrillard, qu’en gauche religieuse. Échouant très certainement devant l’histoire et ses responsabilités.

LES PETITS PROPHÈTES

    Max Weber, La science, profession et vocation (Marseille, Agone, 2005) cité par Beaud/Noiriel (p. 71) : dans le rejet de l’amalgame savant / expert, et cette assimilation est particulièrement cultivée par les médias aujourd’hui, le sociologue s’en prend aux « petits prophètes stipendiés par l’État » qui se donnent le beau rôle auprès des étudiants : « Le véritable professeur se gardera bien d’imposer  à son auditoire, du haut de sa chaire, une quelconque prise de position, que ce soit ouvertement ou par suggestion, car la manière la plus déloyale est évidemment celle qui consiste à “laisser parler les faits” ». Ces petits prophètes pullulent qui font de la politique de campus à défaut de faire de la vraie politique. Ceux-là qui accusent avec complaisance les savoirs d’être des pouvoirs, ou la liberté d’enseigner un instrument d’oppression. Et j’imagine que, la situation étant à ce point intenable, les étudiants doivent raser les murs en allant en cours à subir de la sorte la dictature du blanc-mâle-hétérosexuel… Terrible... Au-delà de la dogmatique équivalence posée entre pouvoir et autorité, pouvoir et domination, alors qu’il y a lieu de distinguer méthodiquement, la phrase de Weber a encore cet intérêt de pointer le pouvoir réel dont usent et abusent ceux qui sont prompts à dénoncer les « pouvoirs » académiques.

RENDRE HOMMAGE

     Les moments de grâce de l’écriture ou ce récit sous l’espèce d’un journal de Wajdi Mouawad, dont le titre en soi a force éthique : Parole tenue. Les nuits d’un confinement. Mars-avril 2020 (Montréal, Léméac, 2021, p. 47) : « J’attendrai le soir, j’attendrai l’obscurité. Et, une fois la nuit venue, avec les enfants, nous roulerons la nuit durant pour rejoindre la mer et là, sans compter ni les jours ni les nuits, saluer les premières lueurs de l’aube et, qu’il pleuve ou non, rester dehors le jour entier et rendre hommage à la vie. » 

DIFFÉRENCES

     La visée pragmatique du rapport Abella de 1984 n’empêche pas – localement – l’apparition de la catégorie de « race », pour partie motivée par l’usage de la notion de « minorités visibles ». Ce que valide à plusieurs reprises la critique du modèle blanc et masculin. De fait, s’esquissent une coexistence sinon une concurrence entre une perception des différences ethnoculturelles et une interrogation sur les différences raciales. Le point révélateur en est la réponse au census de 1981, 78 000 travailleurs s’étant identifiés comme « Noirs », alors que l’enquête ne portait pas sur la couleur de peau ou les caractéristiques phénotypiques. La conséquence toutefois est que le rapport Abella comprend sous cette appellation des immigrants des Antilles, y compris de la Guyane ; que la catégorie se trouve de la sorte validée au titre d’unité sociodémographique à côté d’« autochtones » (rassembleur-effaceur du divers des nations concernées, s’il en est) mais aussi de « Indo-Pakistanais », « Chinois », « Français », etc., soit des identités nationales.

UNE SEULE CLÉ

     C’est la conclusion qui m’arrête au terme de la très belle démonstration de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, Race et sciences sociales. Essai sur les usages publics d’une catégorie (Marseille, Agone, 2021) : dans le champ scientifique, le constat est plus modéré sur le versant français qu’il ne l’est côté américain, d’après Campbell et Manning, qui, se défendant au nom du principe wébérien de neutralité axiologique, montrent que les départements de sociologie donnent lieu par militantisme à des séances d’endoctrinement en plus d’avoir hypothéqué les exigences de l’observation empirique la plus minimale. Au-delà de la genèse historique du terme de « race », de ses résurgences en phase avec les politiques d’immigration et le discours colonial en France, l’enquête passionnante et lumineuse sur le milieu footballistique et l’affaire des quotas. Surtout que la résurgence des approches racialistes tient beaucoup, y compris depuis la thèse de Colette Guillaumin, aux modèles nord-américains et surtout états-uniens. Il y a là une constante. Une convergence des analyses aussi quant au fait que le discours sur les privilèges blancs, la racisation et le racisme systémique, contribuent à occulter les privilèges socio-économiques. C’est cette stratégie qu’on perçoit clairement à l’œuvre de la part des élites anglophones au Canada. Le primat de la race entretient enfin cette illusion « qu’une seule clé » puisse « ouvrir toutes les serrures de la connaissance » (p. 377). Voir mes propos sur le retour aux gros concepts depuis le début de ces controverses académiques et politiques. Enfin, que dans la mise en œuvre du paradigme culturaliste et non seulement économiste, et la dynamique raciale qui voudrait supplanter l’approche sociale, on a là un mécanisme de division des « forces progressistes » qui ouvre « un véritable boulevard aux conservateurs » (p. 373). Cela a déjà commencé. On est vraiment mal pris.

PIS-ALLER

      Autre élément : que la fortune « épistémologique » et institutionnelle de la notion d’intersectionnalité, qui de fait a dépassé Kimberlé Crenshaw, son inventrice, s’explique comme pis-aller de politique – notamment des jeux d’alliances entre les catégories d’identités revendiquées au sein de l’identity politics, le moyen d’en surmonter si l’on veut l’ontologie catégorielle – une ontologie radicalement discontinuiste. À ce titre, cela reste un substitut de politique – et d’une émancipation critique en devenir. Voir aussi Stuart Hall, Identités et cultures : politiques des Cultural Studies (Éditions Amsterdam, 2017). À développer. 

LES TROIS VERTUS

    Depuis le début, ça sent l’arnaque : que les militants et autres social justice warriors, le branding entrepreneurial et le marché, l’État et son administration, le monde du savoir et de l’enseignement chantent tous en chœur les trois vertus théologales du monde moderne, « diversité » « équité », « inclusion », chacun y mettant ce qu’il veut bien y entendre – au risque des malentendus et des antagonismes, des conservatismes et des inégalités que cette rhétorique s’efforce de dissimuler et même perpétue.

HYPOTHÈSE

     En lien avec la sociologie des élites, que j’ai mentionnée dans la continuité des observations de Campbell et Manning, le fait que les promoteurs de la nouvelle idéologie occupent des postes dans les administrations d’État, la culture, l’éducation, les entreprises, c’est que les dogmes EDI ne se limitent évidemment pas aux institutions de savoir. Il existe par exemple une littérature substantielle dans le domaine managérial : la diversité comme ressource et productivité, indice de performance, etc. Cf. W. B. Michaels (The Trouble with Diversity). Ces valeurs entrepreneuriales sont étendues aux universités et autres. Ceci en lien avec le marché de l’antiracisme et les ateliers d’éducation sur la diversité. L’hypothèse est qu’on assiste à l’émergence d’une forme de capitalisme diversitaire (inséparable de l’économie de la connaissance), étroitement articulé lui-même à la culture comme outil de gouvernementalité (cf. I. Barbéris sur les rapports diversité – demos – culture), doxa politique en vigueur dans nombre de sociétés occidentales. En retour, il faut y voir la nécessité des discours inclusifs sur l’inclusion elle-même. Chacun peut s’y retrouver – l’éloge de la diversité semble résonner comme une thématique de la justice sociale, dans les faits c’est devenu un instrument de promotion du néolibéralisme. En travaillant à la convergence des intérêts, l’idéologie EDI dissimule de nouvelles inégalités.

L'ÉNONCÉ INCLUSIF

     À bien y réfléchir, la rhétorique formulaire et ritualiste, EDI, exhaussée au rang de dogme national, ressortit typiquement à ce qu’on pourrait appeler un énoncé inclusif. Au sens où cet énoncé déclare et produit non seulement l’adhésion mais le consensus. Il en impose, c’est-à-dire qu’il empêche de penser. Qui s’opposerait sérieusement à des termes comme la « diversité » ou « l’inclusion » ? La difficulté apparaît lorsqu’on commence à questionner chacun des signes : de quelle « diversité » parle-t-on exactement ? comment définir et mettre en œuvre « l’équité » ? Etc.

MULTIRACIALISME

     Il ne me semble pas que, dans la mosaïque canadienne selon la vieille expression de Gibbon, l’enjeu ait trait vraiment dans ce débat au multiculturalisme, de la doctrine officielle de 1971, et des pratiques administratives qui en découlent comme de la réalité démographique du pays. Ce sont plutôt les discours – certains modèles théorico-politiques – par lesquels la « race » devient désormais l’interprétant des liens sociaux, telle qu’elle est susceptible à terme d’infléchir l’idée de multiculturalisme en multiracialisme. Outre son affligeante banalité, l’argument socioconstructiviste ne tient que de l’illusion qui voudrait faire oublier combien la race est une détermination, et qu’au final elle mue l’historicité des sujets en essence.

jeudi 2 septembre 2021

FREEZE PEACH

 Ce jeu de mots des militants que je ne connaissais pas, à l’endroit des défenseurs du free speech, qu’ils soient conservative ou liberal : l’ironique freeze peach. Fair enough. C’est de bonne guerre.

CATÉGORISATION AMBIGUË

       Lecture du rapport de la juge Abella d’octobre 1984 (Égalité en matière d’emploi), texte fondateur, qui met en place le concept d’équité définie comme version canadienne de l’action positive (affirmative action) et des mesures prises par les voisins depuis 1961 dans ce domaine. Ce qui est remarquable, le pointage contre la « discrimination systémique » (p. 17) sans l’appareil idéologique actuel, évidemment. Aussi : l’emploi-apparition de « minorités visibles » qui entre dans la langue administrative, est reconnue comme une « catégorisation ambiguë » et néanmoins opératoire en raison des « problèmes que l’on cherche à résoudre » (p. 64). La problématique n’est pas celle de l’identité ; le classement n’a d’autres visées que pragmatiques.

TRANSNATIONAL

      S’il est vrai, comme nombre d’observations en attestent, que l’expansion de la culture victimaire et des idéologies qui l’accompagnent est pour l’essentiel motivée par les élites, il y a plusieurs niveaux cependant à considérer : les classes dirigeantes, le monde de l’entreprise (et c’est là-dessus qu’il faudra revenir), les institutions de savoirs jusqu’aux pratiques militantes. L’essor des courants de pensée « woke » (et je maintiens, je devrais le faire à chacun de mes posts, des guillemets de rigueur devant cette désignation inexacte et abusive) permet entre autres de reprendre à nouveaux frais l’utopie multiculturaliste, celle de Trudeau père en particulier. La conception transnationale ne s’y énonce plus tellement dans l’opposition au nationalisme voire au souverainisme québécois (et les questions ont sur ce point évolué) que dans la logique mondialisée et, en conséquence, par le biais d’un modèle à incarner dans cette logique mondiale. Le sentiment aussi (et surtout) que la version canadienne – telle qu’elle est dessinée politiquement – veut s’écrire dans une forme rivale sinon pacifiée du moins nettement plus harmonisée qu’à travers la dynamique polaire et les déchirements conflictuels et violents des États-Unis. Réussir là où lautre échoue.