Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

lundi 27 février 2017

SCÉNARIO


Lagarce/Dolan enfin. Comparer le scénario film et la pièce de théâtre. Puisque l’objectif du réalisateur a été de faire entendre la « langue de Lagarce ». La question : comment ? Pouvoirs de l’image, des cadrages, des plans, des corps, bien sûr. L’impact inverse de la théâtralité sur le cinégraphique. Toutes questions classiques. Mais quand même : là où ça coupe dans le texte d’origine, là où celui-ci est récrit, là où c’est narrativisé, etc. À noter : Dolan a assuré lui-même la traduction des sous-titrages pour la version anglaise – réflexe franco-canadien, et geste d’auteur (autorité-auctorialité) d’une langue à l’autre ; mais indice aussi d’une appropriation du texte.

FONTES


Aussi : curieuse sensation de haine à l’égard de cet hiver qui ne tient pas ses promesses, part à la sauvette – d’un coup ; une pleine bordée, enfin douce, froide et généreuse, et plouf, plus rien : la disgrâce complète qui laisse dans l’incertitude du rythme saisonnier à adopter. C'est de l'ordre de l'éjaculation précoce : un ensemencement stérile, sans plaisir aucun, un peu avant, trop court, rien après, comme ça arrive (car il paraît que ce genre de déconvenue physiologique arrive...) Et puis des allures d’été faussement gaies. Un mélange sans clarté. Des lumières déplacées. Le détestable ressentiment qui naît d’avoir été durement trompé sur la marchandise. Du désenchantement ? Sans doute. Ce qu'il en coûte le plus peut-être : devoir sortir trop vite de l'inertie, des mois de torpeur jouissive, de la vie souterraine et ritualisée. Pas envie.

FILM

Lagarce/Dolan de nouveau. L’inutilité des séquences cinégraphiques à valeur rétrospective, je trouve : l’enfance et la figure du père ; l’aventure homoérotique ; le café et l'aéroport, qui pouvaient rester dans la matière-récit, reconstituées au fil des dialogues et des échanges. La matière-souvenir : le matelas, l’odeur du savon. Force des détails. En vis-à-vis de cette temporalité feuilletée, la montre et l’horloge-coucou obsédants. La scansion des scènes par le repas – le dessert – climax de violence.
L’équivoque ou malentendu tragique : « Je dois partir ».
L’astuce toujours des plans et des fenêtres : qui regarde, qui est regardé ? De dos, de face, de biais, etc. Et la question est capitale : comment on se regarde. Cette maison à trappes, à sous-sol, à couloirs. Cuisine, cour, chambres, jardin, démarquant d’autant mieux les scènes d’extérieur, le plus souvent en mouvement (le nocturne en avion, la voiture et la dispute des deux frères, etc.). Les rideaux et les reflets. Les lumières et la chromatique à dominante bleutée. Et puis la porte finale – sortie solitaire en contrepoint de l’entrée à dévisagements embarrassés, à étreintes difficiles – contrejours et gros plan sur l’oiseau-métaphore.

C.A.D.


Repère de lecture. « C’est à dire ». L’une des quatre phrases découpées de Tardieu dans L’accent grave et l’accent aigu. La variation entre la forme figée/composée – locution adverbiale, démarquée par les traits d’union – en sa valeur explicative-explicitative, information, justification, précision, etc., et le signal en est réactivé en cours de texte, isolé par deux blancs (« où tant de douleurs / enfin pétrifiées seront / c’est-à-dire / ne seront plus ») – et sa syntaxe-énonciation pleine, celle d’une phrase-actualisation. C’est : à dire – parole en devenir et pronom dont la référence n’est pas spécifiée, en lien avec « ce peu de traces / d’un passage / ou le bruit qui n’est pas entendu ». L’à dire est la phrase-poème se faisant comme mise en écoute de ce passage ou de ce bruit, aux limites du néant et de l’inexistence. D’où l’injonction humoristique-tragique à uniques signaux discontinus dans le texte, tiret et point de phrase : « et si vous voulez / que je m’arrête / donnez-moi le mot – sinon // je continue. » À dire et indicible : le phrase et le mot qui échappe, soustrait ou manquant. À inventer. Et le c’est-à-dire est par définition la locution souvent apposée ou incise, geste de continuation, phrase continuée, ouvert sur le régime de l’illimité. L'impossibilité de la fin, c'est le mot de la fin.