Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

L'INSTITUTION ET SES SIGNES


À circuit fermé, l’entretien, plutôt "casual", porte sur la vie des signes, et un signe en particulier. S’agissant de signes, c’est évidemment de la vie en société qu’il est également traité, plus exactement d’une micro-société et de son commerce interne.

Le logo de McGill est une armoirie. Trouvez-vous qu'il repose sur une conception archaïque ou qu'il permet, au contraire, de maintenir une certaine tradition nécessaire à la passation du savoir ?

Difficile de répondre sans considérer les termes mêmes de la question – et sans les inverser aussitôt. Ce n’est pas le logotype qui est une armoirie mais l’armoirie qui est devenue un logotype, c’est-à-dire dans son usage originel l’enseigne même d’une boutique, la boutique contemporaine du savoir que représente aujourd’hui l’université dans ses multiples versions nord-américaines, européennes, asiatiques. Une institution qui, loin d’accomplir sa mission critique, est de plus en plus asservie aux États, au marché et aux intérêts de groupes financiers et industriels.

Afficher le logo de McGill, sur un sac ou un chandail, trouvez-vous que c'est une fierté bien placée ? Pensez-vous que le fait de porter le nom d'une institution sur un vêtement est un contrat tacite entre les deux parties qui se représentent l’une l’autre ?

Sans refaire les analyses intelligentes de Jean Baudrillard, Le Système des objets et La Société de consommation, qui datent mais ont aussi fait date, il convient seulement de rappeler que l’acheteur ne s’inscrit pas si simplement dans une économie matérielle, celle des biens. Le circuit dont il est question, au cœur de n’importe quel deal ordinaire, y est simultanément celui de la consommation et de la jouissance de signes inséparables des objets monnayés. En ce sens, le sac ou le chandail équivalent à tous les autres items de même substance, et sont par conséquent permutables ou substituables. Seule l’estampille sacrée (mcgilloise ici) permet de les distinguer, et leur donne une valeur singulière apte à transcender leur fonctionnalité d’origine. Mais s’ils sont uniques, étant porteurs d’un sceau qui est moins celui du savoir que du marketing, ils sont en même temps sériels, puisqu’ils sont destinés à une production à de multiples exemplaires.


Pensez-vous que la coutume du port de l’emblème peut empêcher de prendre conscience du discours affiché lorsqu'il devient si commun dans une collectivité que certaines personnes l'arborent sans même se soucier d'en comprendre la signification ? Est-ce que cela pose un problème ?

À l’écart de tout critère psychologique, (« conscience » ou « fierté »), l’important est de souligner que, de l’armoirie au logotype, on n’a jamais quitté le champ du sémiotique. Or le propre d’un signe est qu’il demande d’être d’abord identifié avant d’être compris. Et il n’est pas absolument nécessaire qu’il le soit pour fonctionner comme signe. En l’occurrence, ce signe ne s’impose pas dans l’immédiat par ses significations héraldiques, ni celles de la légende (In Domino Confido) ou de la devise (Grandescunt Aucta Labore). Il participe plus largement à un effet de « vitrine », par ailleurs bien répandu dans le monde universitaire nord-américain comme preuve d’une histoire, d’une longévité, d’une tradition, variables selon les établissements, l’Ivy League en tête. Le signe obéit d’abord à un principe de reconnaissance – la signature d’une institution, – marque oppositive et différentielle en face d’autres emblèmes, qui prend ultimement la valeur de notoriété évoquée plus haut. Ensuite, à voir ce qui n’est jamais que perçu, il n’échappe à personne que la rigueur graphique des motifs (déclinés pour le curieux dans la section « Coat of Arms » du site de l’université, http://www.mcgill.ca/about/intro/mission) repose sur le principe de la bitonalité chromatique (dont ce rouge, impossible à confondre avec les carrés du même nom, brandis dans la rue, il y a quelque temps…), à laquelle se combinent d’évidents effets de symétrie (les trois sommets de la montagne et les trois martlets, les deux couronnes distribuées de chaque côté de l’« open book » et de sa double page, etc.). Mais, au final, la question n’est peut-être pas tellement de décrire le signe que de considérer ce dont il tient lieu. Bien entendu, chacun mesurera l’état présent de cette université à sa devise comme à sa mission. Toutefois, l’essentiel est de préciser, spécialement à l’intention de celles ou ceux qui comprennent inversement trop bien ce signe et s’en font d’abord un instrument de distinction (de l'idéologie du prestige aux usages sociaux du snobisme), en lui accordant un pouvoir sacré pour en tirer les bénéfices, que ce n’est pas l’institution ainsi symbolisée qui fait les individus mais bien les individus qui font d’abord l’institution – ce qu’elle devient.

Trouvez-vous une contradiction dans le fait que cette institution ait pour mission l'enseignement et que les ventes du bookstore soient aussi élevées grâce aux produits dérivés à l'effigie de McGill ?

Ce ne serait pas la première ni la seule contradiction. Si je puis me permettre : comme le temps, sign is money. Je serais très heureux d’avoir les chiffres exacts de ces ventes. Ce serait l’occasion réjouissante de faire l’inventaire des contrats passés avec les entreprises localisées dans le Tiers-Monde, Bangladesh, Chine ou autres, qui servent à assurer la fabrication de ces produits dérivés.