Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

vendredi 21 mai 2021

THE TABLE OF BROTHERHOOD

      Achille Mbembe : les dernières pages passionnantes de Critique de la raison nègre (La Découverte, 2013-2015), l’horizon de ce qu’il appelle l’en-commun, et l’articulation entre l’universel et le singulier. Ce même nœud conceptuel sur lequel je multiplie les butées : communauté – peuple – nation – multitude en des temps mondialisés. Les accents chrétiens de la problématique, inflexions œcuméniques et même messianiques au-delà de « l’éthique de la restitution et de la réparation » (p. 261) vis-à-vis des anciens empires et potentats coloniaux, signes des marques chrétiennes sur les pensées critiques noires ; le rejet cependant du « victimaire » (et on n’y est pas du tout, l’Occident et ses minorités prennent la pose – selfies wokes et décoloniaux) : un monde commun où « tous les peuples de la terre seront enfin réunis » (p. 251)  ; ouverture complexe compte tenu de la relecture qui précède avec Franz Fanon et l’économie de la violence justifiée ; critique de l’illusion postraciale entretenue par la rhétorique d’un dépassement hégélien de l’histoire (proclamée notamment au moment du premier mandat Obama) mais ces contradictions ne sont justement pas surmontées – et en même temps la nécessité d’une utopie transraciale (« un monde-au-delà-des-races », p. 254) ; la dialectique par avance bloquée du semblable et du différent, l’assimilation dommageable entre différence et altérité, qui en sont toutes deux au fondement ; et cette image surprenante : « […] le monde à la table duquel chacun est appelé à s’asseoir » (p. 254) – cette table, c’est celle de Martin Luther King, je pense, dans le discours du 28 août 1963 prononcé sur les marches à Washington, ce moment d’histoire : « I have a dream that one day on the red hills of Georgia the sons of former slaves and the sons of former slave owners will be able to sit down together at the table of brotherhood. » et la table se convertit en harmonie fraternelle ensuite, lorsqu’il faut imaginer le retour vers le Sud, Alabama et Mississipi, parmi les États les plus marqués par la haine et la ségrégation : « With this faith we will be able to transform the jangling discords of our nation into a beautiful symphony of brotherhood. » Le récit évangélique et la Cène du Christ, il va sans dire.