Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 17 février 2024

GROS LANCE-FLAMME ET MINUSCULE MOTION

    Sur la motion de l’Assemblée nationale, présentée par le député QS Sol Zanetti avec l’appui du PQ en soutien à Myriam Daguzan Bernier, ainsi qu’à l’illustratrice Cécile Gariépy, pour leur ouvrage Tout nu ! (Naked) brûlé au lance-flamme par Valentina Gomez, candidate au poste de secrétaire d’État au Missouri. Le texte de la motion y mêle un autre cas, différent, celui d’Élise Gravel, dont les ouvrages sont retirés de la Bibliothèque publique juive de Montréal, en raison de ses positions à l’égard d’Israël dans ses communications numériques. Appui de la chambre à l’unanimité « à la liberté d’opinion, à la liberté d’expression et à la libre circulation des idées ». Et le porteur de la motion de commenter :  « On est vraiment en bloc, tous les partis ensemble, toutes les tendances politiques. C’est important de dire qu’on n’embarque pas dans le discours de la droite américaine. Ce qui se passe chez les républicains aux États-Unis, la radicalisation du discours conservateur des candidats et des candidates aux élections qui brûlent des livres avec des lance-flammes et qui promettent d’en brûler d’autres s’ils sont élus, c’est très, très, très alarmant, très alarmant. […] Il faut affirmer que cette affaire-là, au Québec, ça ne passe pas. » Pas un mot alors, des journalistes le feront quelques jours plus tard, pour rappeler l’autodafé en 2019 en Ontario, perpétré au nom d’une société inclusive et enfin purifiée de son racisme systémique par Suzie Kies, conseillère d’imposture auprès de Justin Trudeau et du Parti Libéral en affaires autochtones. Comme si côté canadien on pouvait donner des leçons aux Américains à ce sujet ; comme si ce genre d’incident ne relevait que des droites les plus réactionnaires. Il est pour le moins curieux que QS qui porte ici le flambeau des libertés démocratiques se soit abstenu en 2022 – l’unique parti alors à adopter cette position – de voter en faveur de la loi 32 qui entend promouvoir et protéger la liberté universitaire. Une vraie loi, pas une motion, qui demeure symbolique. Il serait utile que de temps à autre la gauche québécoise fasse le ménage dans ses incohérences idéologiques. Elle serait peut-être un peu plus crédible.

SÉMINAIRE HIVER 2025

   En se projetant dans le futur. Team-teaching avec IA. Séminaire – Théorie littéraire 2 : Autour de la cancel culture. « Notre époque se place sous le signe de la cancel culture : mots interdits, ouvrages retirés des bibliothèques, programmes scolaires expurgés, lectures publiques boycottées et, pour finir, de spectaculaires autodafés qui défraient la chronique. Chacun a ses raisons. Pour les uns, il s’agit de corriger les textes, en les purgeant de tout ce qui pourrait porter atteinte aux groupes marginalisés au nom d’une société plus inclusive ; pour les autres, il s’agit d’exclure toute question sur l’identité sexuelle, le genre et la race en « sauvegardant » les valeurs morales de la société. Si elles expriment une sorte de révisionnisme culturel et historique, les pratiques d’annulation n’en sont pas moins un hommage indirect et involontaire au pouvoir de la littérature. Car c’est sa force corruptrice et même subversive, sa capacité à agir dangereusement sur les lecteurs qu’elles voudraient à tout prix limiter ou neutraliser. En vérité, loin d’être un phénomène inédit, la cancel culture s’inscrit dans une plus longue histoire, celle de la censure en régime littéraire. Ce séminaire entend ainsi proposer une exploration approfondie des liens entre la culture de l’annulation et l’histoire de la censure littéraire en empruntant deux axes : d’une part, une enquête théorique visant à définir de manière opérationnelle la notion elle-même et à interroger son potentiel heuristique, en retournant aux travaux qui l’ont abordée ; d’autre part, une approche historique et empirique des œuvres, aussi bien françaises que québécoises, depuis le grand Débat sur le Roman de la Roseau XVe siècle jusqu’aux récentes destructions de livres. Au nom de quelle autorité ou de quel droit censure-t-on ? Selon quel modèle de lecture ? En vertu de quels critères, esthétiques, éthiques ou politiques ? Quels rapports enfin censeurs et censurés entretiennent-ils entre eux ? »

NEW LIGHT

    Autre point d’histoire à surveiller : le mouvement New Light au Canada autour de Henry Alline qui l’introduit vers 1775 dans ce qui constitue aujourd’hui la Nouvelle-Écosse. Ce mouvement de revival et de piétisme évangélique s’enracine bien entendu en Nouvelle-Angleterre et va migrer au moment des Treize Colonies du côté des Maritimes.

BONNE CONSCIENCE

   Dans la préoccupante insistance de la gauche à dénier les usages et pratiques d’annulation et de censure, l’analogie qui vient tout à coup est celle qui l’unit à certains obstacles idéologiques majeurs au cours de son histoire, et on ne peut pas ne pas penser aux trésors d’ingéniosité qu’ont dépensés celles et ceux qui ont tenté par exemple de justifier esthétiquement Céline en s’achetant une bonne conscience politique. Un véritable arsenal rhétorique du contournement, de l’euphémisation, du contrefactuel, de la compromission et du consentement, etc. Et en fait d’antisémitisme, on a vu à l’automne dernier ce qu’il en était sur certains campus états-uniens. Mais il paraît que « ça dépend du contexte » comme dit l’autre, pas vrai ? Voir aussi l’antisémitisme de gauche que j’ai signalé dans article mien sur la cancel culture à propos des militants contre Bret Weinstein au moment de l’affaire Evergreen en 2017. Ce n’est pas le moi mais cette époque en entier qui est haïssable.

LUMIÈRES

     Article de Nadine Vincent dans Circula, n. 15, 2022, p. 122-145, sur le traitement polyphonique du mot « woke » qui valide la plupart de mes observations jusqu’à présent. Approche lexicographique pour l’essentiel de ce signe « caméléon » dans lequel coexistent des valeurs, positives et polémiques. S’y ajoute à mon avis que la dominante des emplois dans la rhétorique conservatrice a permis d’installer un lieu commun à gauche, celui que résume à merveille la bienpensance de François Cusset, lequel ne s’embarrasse guère de détails philologiques, un mot de droite à oublier, que ne revendiqueraient pas même les militants. Ce qui est faux – littéralement. Ce lieu commun a une fonction : camoufler l’existence d’un débat critique à gauche, il participe de la logique de polarisation du débat en plus de la volonté de puissance de la nouvelle gauche. La pensée binaire. Sur un autre plan, la synthèse sûrement datée mais éclairante de William G. McLoughin, Revivals, Awakenings, and Reform (1980). Ironie de l’histoire : l’enquête s’arrête avant la montée de la droite évangélique à la sauce reaganienne. Aussi : entre les « Old Lights » et les « New Lights », ce qui retient c’est le cas de James Davenport et des radicaux (voir Thomas S. Kidd), en plus de l’autodafé de 1743 évidemment. Mise au point stratégique de Christopher Evans sur le Social Gospel. Voir plus ancien aussi Richard Allen, et larticle plus récent d'Andrew Ives sur le versant canadien.

CONVERSATION INTÉRIEURE

   À mi-chemin d’un demi-hiver, d’intensives lectures pour parer aux improbables saisons, et renouer le fil ténu de la conversation intérieure. Plaisir à reprendre un texte d’il y a si longtemps, la même puissance de Cahier d’un retour au pays natal – comme vierge, la même violence critique : « la ténuité qui sépare l’une de l’autre Amérique » (éd. 1947, p. 24) ; les « marmonneurs de mots » (p. 33) ; « que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la négrerie » (p. 38) ; « la louange éclatante du crachat » (p. 42) ; « ceux qui n’ont connu de voyages que déracinements » (p. 44) ; et surtout : « et faites aussi de moi un homme d’ensemencement » (p. 49).