Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 28 janvier 2023

LA BUSINESS "EDI" DES UNIVERSITÉS

Nouvelle sortie avec Dr Martin Drapeau dans Le Devoir (28.01.2023) : EDI, la business de la vertu universitaire. Mise au point sur cette forme nouvelle du capitalisme néolibéral, qui détourne les universités de leurs missions fondamentales et dénature les objectifs de diversité, d’équité, d’inclusion.

vendredi 27 janvier 2023

GENS DE CULTURE

  Klemperer. « Comment a-t-il été possible que des hommes cultivés commettent une telle trahison envers la culture, la civilisation, toute l’humanité ? » (LTI, p. 341). Claude Simon et la bibliothèque de Leipzig. Plus loin, la typologie non des brutes sanguinaires mais des gens de culture au service des pires causes : « … je vois surtout la foule des hommes de lettres, des poètes, des journalistes, la foule des universitaires. Trahison, où que se porte le regard. » (id.) Le seul mode alors du philologue dans son carnet, c’est la liberté intérieure, et elle peut lui coûter la vie à chaque instant. Ce qui se voit aujourd’hui dans le cadre des démocraties dites libérales et leurs novlangues, ce sont autant d’universitaires, de poètes et hommes de lettres qui se font faiseurs d’opinion en pratiquant la « langue de la croyance » (p. 343). Il arrive qu’on se dise que l’on fait un mauvais rêve, et qu’on a tort sur toute la ligne, qu’on est à contretemps et à la marge, improductif. Il serait plus simple de se diluer dans le grand courant et de s’y oublier. Ce serait plus vivable aussi, en fait d’énergie et de santé. Mais : à quoi ça sert de penser ? Le défi est toujours de parvenir à faire de la langue de la croyance un objet, de le questionner en le mettant à distance. Mais la langue de la croyance, ça ne se parle pas seulement. Cela se respire. On en ressort soi-même changé au quotidien.

mercredi 25 janvier 2023

POINGS

     L’image devenue iconique des poings fermés et dressés, en forme de ralliement et de combat, qui circule partout – désormais un outil de marketing du capitalisme progressiste. Signe. Cette image active le souvenir ancien d’une conversation avec ma mère, qui racontait comment elle assistait, enfant, aux réunions du Parti communiste dans le milieu ouvrier qui était le sien : le sentiment éprouvé de participer à une messe, le malaise du conformisme religieux. Cela n’entame rien à mon admiration pour le parti des humbles et des sans-noms, des résistances et des luttes, et d’autant plus que j’ai cette chance et ce luxe de ne pas être dans la survie économique. Mais de cette lucidité de l’enfant je me fais aussi un héritage personnel. Une sorte de réserve libertaire et nécessaire, contre les idéologies et les techniques de contrôle, exercées en l’occurrence aujourd’hui par les élites. Ces élites dont, malgré que j’en aie, je fais aussi partie...

POUR LA POSTÉRITÉ

    

   Après le cas de University of California à propos du bannissement du mot « field », la direction de University of Derby qui avertit les étudiants que l’art dramatique (et le genre tragique, semble-t-il) serait potentiellement offensant, disons upsetting (raisons : violence, sexualité, etc.) À quel niveau de sottise sont rendus mes contemporains, et parmi eux les plus hypocritement puritains, je l’ignore. Mais il est tentant, et serait très certainement utile pour les générations futures, que je rassemble un recueil des anecdotes et des faits divers qui ont façonné la sensibilité woke des dernières décennies. Nos enfants et petits-enfants mesureraient jusqu’où nous sommes descendus. Une chose est sûre : le monde de la pensée et du savoir n’en ressort vraiment pas grandi.

dimanche 22 janvier 2023

RESPIRATIONS

  À surveiller : Lindsay. The Marxification of EducationProbablement de la même sauce que Race Marxism. Christophe Rioux sur France Culture à propos des Sensitivity Readers. Adam Hochman : « Racialization :A Concept to Defend ». À côté, rares mais réels petits bonheurs quand même : Splendeurs et misères des courtisanes. La conversion épique et malfaisante de Vautrin-Collin au service de la police et de la loi. Ishiguro. Lumière pâle sur les collines. Cette lucidité de la prose. Là où je respire, et m’oublie.

ÉTRANGETÉ

   Mélancolie aussi. Si je regarde rétrospectivement mes « choix », ils n’ont jamais été du côté de la majorité et du nombre – du discours dominant. À croire que je le fais exprès. C’est physique. De ce point de vue, j’aurais vraiment raté ce qu’on appelle la « carrière ». Il y a des gens qui ont le sens du placement, de ce qu’il faut investir, et à quel moment, et savent calculer en retour le rendement, qui capitalisent. Rien de tel. I don’t fit. I don’t belong here. C’est plutôt le sentiment d’étrangeté que j’éprouve à chaque fois. L’étrangeté comme condition de la dissidence.

PURETÉ

 Pureté de la gauche. Ce prurit idéologique, que j’observe chez des amis, rencontres, orateurs ou collègues. La peur presque panique du compromis, qui se mesure de plus en plus aux compromissions bien réelles de cette gauche du côté d’une version néolibérale du progrès. Faute d’avoir changé le réel, et le quotidien des citoyens. Être à la gauche de la gauche : un phénomène encore aggravé par l’échelle victimaire de l’idéologie woke. Combien cette attitude me rend ironique ou me laisse indifférent. L’impression intime que de ce côté-ci je suis sevré sinon lucide, que c’est d’une autre époque ; il y a dix ou quinze ans j’aurais été probablement dans la même attitude. Vanité. Cette mythologie de la pureté constitue à gauche la pire entrave au travail critique. Pour être lucide, le prix est peut-être d’avoir les mains sales.

L'ÉCONOMIE DÉMATÉRIALISÉE

    Les EDI allient deux composantes : un appareil idéologique avec ses catégories pavloviennes (« intersectionnalité », « racisme systémique », « culture du viol », « biais inconscients ») et le paradigme néolibéral du marché. Dans cette économie dématérialisée, qui fait des EDI le nouveau visage du capitalisme, il importe de comprendre le rôle des think tanks, des instituts ou réseaux (souvent nébuleux), firmes-conseils, start-ups, et l’opportunisme des conseillers et autres stratèges EDI. Cela va de la Fondation Ford au Réseau interuniversitaire du Québec EDI et son rapport pour des pratiques innovantes en EDI commandé et financé par… les Fonds de recherche du Québec : compendium de travaux issus d’une littérature elle-même militante (Malinda Smith et son Diversity GapThe Equity Myth, etc.), comparatif international entre les diverses institutions de recherche (Europe du Nord, France, Suisse, Afrique du Sud, Amériques, Pacifique) – et élément que je pointe car il devient de plus en plus agité : la politique de Universities New Zealand autour des savoirs maoris (à suivre).

L'ÉMOLLIENT COLLECTIF

     Klemperer. Ce principe « que la langue pense et poétise à notre place » (LTI, édition Pocket/Agora, 1996, p. 143). L’intérêt à la technicisation et mécanisation de la langue par les nazis (et on se souvient déjà de la célébration des machines et de la technologie par les futuristes italiens). Notre époque est plutôt à l’émotionnalisation de toute chose en toute chose. On applique collectivement le soft et l’émollient. Le coddling est une variante de cette époque de pleurnicheurs.

mercredi 18 janvier 2023

DU CLÉRICAL

     À propos de la fabrique de la pensée, et des novlangues contemporaines, cette observation critique de Wajdi Mouawad sur laquelle je tombe en relisant l’un de ses entretiens (Architecture d’un marcheur, Léméac, 2005, p. 21) : « Les chroniqueurs ont aujourd’hui remplacé les curés. Tout comme il existait une régularité dans la messe, de telle sorte que, au moment attendu par tous, le curé faisait son homélie pour dire aux gens quoi et comment penser, il existe aujourd’hui des chroniqueurs qui, dans tel journal le jeudi et dans tel autre le mardi et dans tel autre encore le vendredi, écrivent leur chronique – vite car ils sont aguerris à cette tâche – pour nous dire de quoi nous devons rire et nous moquer. Le Journal de Montréal, Le Devoir, La Presse, Voir, Ici, ont remplacé la messe. Le Québec est encore embourbé dans le clérical. »

SORTIE

   Sortie de la ministre de l’enseignement supérieur, Pascal Déry, suite à l’affaire Wintemute à l’Université McGill, passée maître dans la culture de l’annulation. Rappel à l’ordre concernant l’application de la loi 32 : « Aucune censure n’a sa place dans les milieux universitaires » (Le Devoir, 17.02.2023). Du fil à retordre. Le texte ménage les susceptibilités, mais il entretient les amalgames : entre la liberté universitaire et les EDI – la même soupe que sert l’administration mcgilloise pour justifier les pires reculs – mais aussi entre des versions différentes des EDI, celle du fédéral qui implique des politiques de discrimination positive (donc une logique aussi d’embauche, notamment via le programme CRC) et celle des FRQ, qui tient à l’évaluation des projets de recherche, à laquelle s’ajoutent – plus lourds encore – les ODD. Au reste, le paragraphe sur les FRQ relève de la communication, et tente de compenser l’inaction des ministères Déry et Fitzgibbon sur ce dossier. Le texte lui-même répond à l’agitation médiatique, notamment à droite, du côté de l’électorat de la majorité : Yasmine Abdelfadel ;  Richard Martineau ; TVA (avec. un lien, plus intéressant, vers un entretien à ce sujet de Martin Drapeau). Dans tous les cas, la même illusion sur les EDI : égalités des chances, agenda progressiste, etc. Toute une rhétorique dupe des belles impostures du capitalisme néolibéral et des stratégies de muselage sous couvert dun progrès quen réalité il ménage et contrôle étroitement. Il est peut-être temps d’expliquer ce qu’il en est vraiment des sacro-saintes EDI...

jeudi 12 janvier 2023

NOVLANGUES DU CONTEMPORAIN

   Dans sa LTI – la langue du IIIe Reich, source d’inspiration pour saisir et comprendre les novlangues ayant cours dans nos démocraties libérales, Victor Klemperer observe que le régime hitlérien a fait finalement peu usage des néologismes ; en revanche, en bon philologue, il remarque que les mots ou les locutions n’ont eu de cesse de changer de valeur. C’est très rigoureusement ce qui se passe dans le discours social des trois sociétés dAmérique du Nord, et dans la circulation des langues anglais-français ; il n’est que de songer à  « viol » dans « culture du viol » (rape culture), « race », « racisme » (avec « racisme systémique » et « racisation »), « décolonisation », « inclusion », « diversité », « équité », « épistémique » et « systémique » (mon couple préféré), « discrimination », sans parler de « violence » « oppression », ou « trauma ». Le dictionnaire du contemporain.

BONNE ANNÉE, ETC.

      

   Ces dernières semaines, les événements et les nouvelles se sont enchaînés. Les mêmes récits se répètent, bien entendu : dénoncé par PEN AMERICA et FIRE, le cas de Hamline University et d’Erika Lopez Prater autour de Mahomet, la pétition en ligne : https://chng.it/cg77VxbY9L. Le bannissement à University of Southern California du mot « field » pour cause de racisme. Don’t ask. Et last but not least, retour au pays, médaille d’or de la cancel culture au Québec (mais médaille d’argent au Canada, derrière l’Université d’Ottawa, toujours championne nationale, qui dit mieux d’ailleurs ?) l’Université McGill qui annule la conférence du juriste et militant gay Robert Wintemute (King’s College London) sous la pression d’une centaine de militants trans : CBC (09.01.2023). Ce sur quoi s’étendent beaucoup moins les médias, notamment anglophones, ce sont la présence badaude des policiers, les bousculades et autres insultes proférées ou écrites sur les murs. Variante des barbouillages de Divest l’an passé sur le campus. Ce qui retient comme toujours l’attention, c’est l’attitude pleutre et clientéliste de l’administration, incapable de faire appliquer les droits élémentaires, incapable d’instaurer un climat d’écoute minimale entre les divers partis. L’année commence en beauté, n’est-ce pas ? Le ton est donné en tous cas.

jeudi 5 janvier 2023

CINÉ POISSEUX

   Chien blanc, adaptation au cinéma par Anaïs Barbeau-Lavalette du roman du même titre de Romain Gary. On ne saurait mieux débaucher le talent artistique et liquider ses moyens dans le sirop moralisateur de l’époque. On ne saurait donner vision plus caricaturale de ce que sont un écrivain et une œuvre de littérature – de ce qu’elle fait. Images poisseuses. Si vous n’aviez pas compris, par un sens aigu et rigoureux de l’histoire, que la marche des Civil Rights et George Floyd, au fond c’est la même chose, on vous assène en conclusion de la poésie rythmée sur la bêtise humaine et l’espoir, des séquences de brutalités policières agrémentées de militantisme BLM. Car on vous fait pendant presque deux heures la leçon sur la culpabilité des intellectuels blancs et comment se battre pour la juste cause des communautés noires opprimées. On vous éveille. Malgré quelques trouvailles, des plans séquences en extérieur, et certains coups de griffe appréciables autour du personnage de Jean Seberg, gages d’une soudaine et rare complexité dans cette « œuvre », quel ennui ! Aucune distance. La lecture la plus dérisoirement présentiste qui soit. Et l’utopie sinon le fantasme de la rééducation du chien demeurent finalement sous-exploités. Ce film n’est pas une œuvre d’art, c’est un discours – le discours social de notre temps, ça pontifie, ça prêche, ça dégouline. Le discours que tiennent les apôtres de la sensibilité et autres curés du XXIe siècle – avec quelle suffisance. Celui qui me rend décidément étranger à mes contemporains. La bêtise est-elle là où l’on croit la dénoncer ?