Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 19 mai 2021

PETIT BILAN

     On ne le publiera pas dans les médias finalement. J’archive toutefois ce texte coécrit avec Isabelle Arseneau. Dans son énonciation même, il a l’intérêt de servir de repère, à mon avis – et d’établir clairement la synthèse des événements passés. L’optique est désormais à la conversation savante et à un projet de livre à quatre mains sur les libertés universitaires et les six mois de débat public qui ont eu lieu sur cette question au Québec.

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« UNIVERSITÉS : UN PAS DE RECUL

Il y a presque deux mois commençaient, sous la supervision d’Alexandre Cloutier, les travaux du comité d’experts sur la liberté universitaire voulu par la ministre Danielle McCann. Sans prétendre établir ici un bilan, il n’est peut-être pas inutile de revenir à quelques-unes des questions qui ont agité le Québec à ce sujet, à la lumière des révélations faites récemment par notre collègue Shaun Lovejoy en particulier.

Il convient d’abord de l’admettre : la liberté universitaire a été au cœur d’un débat intense et continu, preuve s’il en est qu’elle touche au fondement même de l’exercice démocratique. Ensuite, avec l’annonce par François Legault en février dernier d’un énoncé gouvernemental (et non d’une loi) destiné à la protéger, on a vu les discours dans l’espace public se polariser rapidement. Des idéologues médiatiques ont saisi là l’occasion de désigner en le diabolisant l’ennemi, le « politiquement correct » et les « wokes ». Or si on peut à bon droit en rejeter les expressions autoritaires et sectaires, on ne saurait pour autant en ignorer les revendications sociales. Pas non plus au point de célébrer comme certains dans ce courant de pensée un nouveau mai 68. Rien de moins, s’il vous plaît. Il est moins coûteux d’importer un mythe culturel que d’analyser avec la distance requise la complexité d’un phénomène collectif. Et pour rappel, mai 68 en France a réuni aussi bien des libéraux-libertaires (dont certains ont fini chefs d’entreprise) que des maos, des situationnistes ou des anarchistes.

Au reste, des points de vue aussi tranchés n’apportent guère de clarté. On a pu encore le vérifier avec la polémique déclenchée par le professeur Attaran de l’université d’Ottawa. Jamais on n’aura autant entretenu dans l’esprit du public la confusion entre liberté universitaire et liberté d’expression qui, sans s’exclure évidemment, ne sont pas cependant sur le même plan. De même, ceux qui voudraient limiter tout ce débat aux mots tabous et aux minorités ont la vue courte. Les pressions exercées contre le monde universitaire ne ressortissent pas uniquement au domaine ethnique. Elles s’expliquent pour des raisons liées également au genre, à la sexualité, à la religion. Contre l’idée couramment admise, rappelons enfin que le phénomène ne s’observe pas uniquement dans les humanités et les sciences sociales mais touche le droit et les sciences exactes comme le montre encore un incident survenu dans un cours d’anatomie de l’UQAM autour de l’identité sexuelle. Le problème est donc à la fois plus étendu et, en toute hypothèse, inégalement réparti entre les disciplines.

Dans ce contexte, l’intervention du gouvernement a pu être parfois perçue comme une forme d’ingérence dans la vie universitaire, et donner lieu à une lecture opposant conservateurs et progressistes, à l’image de ce qui se passe en Angleterre et en France. Plus modérés, ayant à cœur de défendre (au moins officiellement) la liberté universitaire, les recteurs et rectrices rappelaient, quant à eux, leur attachement envers l’autonomie des établissements. On leur objectera que la dite autonomie demeure relative et que, si l’État s’en mêle aujourd’hui, ils en sont les premiers responsables. Car ce n’est pas par la grâce de déclarations vertueuses mais à la condition de garantir concrètement la liberté universitaire que l’autonomie peut être en retour préservée. Un tel principe ne doit d’ailleurs pas dissimuler les inégalités entre les institutions. Certains administrateurs tels que Daniel Jutras à la tête de l’Université de Montréal auront su anticiper ce genre d’incidents, recensés et documentés depuis plusieurs années en Amérique du Nord. D’autres, et l’on songe en particulier à la direction de McGill, auront fait preuve d’une attitude très équivoque à cet égard, sans parler du manque de leadership.

Un autre point de tension, du côté des professeurs cette fois, tient à la politisation des savoirs (à gauche comme à droite). En soi, la question n’a rien d’inédit. Mais, et c’est ce qui nous importe ici, elle fait désormais l’objet d’une singulière convergence de vues. Bien entendu, aucun savoir n’est à l’abri des idéologies. De même, ce qu’on appelle le sujet de la connaissance (l’observateur) fait partie intégrante de l’objet qu’il observe. Rien de très neuf ici cependant. Rien en tous cas qui autorise à substituer des croyances aux opérations de la science. N’en déplaise à certains, l’université ne vise pas à soumettre le monde à des normes, sa tâche est de le penser dans l’étendue de sa complexité. Imagine-t-on un historien de la Shoah ou une virologue dans son laboratoire conduire leurs travaux sur la base de simples convictions ? Au contraire, c’est à la condition de satisfaire l’exigence de méthode et de vérité que l’on peut mieux promouvoir la fonction critique et politique des savoirs au sein de la société.

C’est pourtant la tendance inverse qui se démarque actuellement. Par exemple, lorsqu’on dépose auprès d’un organisme fédéral une demande de subvention de recherche dans le but de « décoloniser la lumière » en science physique sous prétexte que les lois du domaine ont été énoncées par des savants occidentaux (Descartes, Newton). Ce genre de projet est l’occasion de mélanger des questions qui ne sont pas du tout sur le même plan : l’intention (en soi louable) de recruter des assistants de recherche parmi les minorités, les représentations culturelles de la lumière, l’épistémologie historique de la discipline. Dans ce cadre où l’éclectisme et l’amalgame entre science et activisme sont non seulement favorisés mais rendus légitimes, on comprend mieux l’attitude de certains administrateurs universitaires. Ils doivent certes s’acquitter des plans fédéraux en matière d’équité et de diversité, faute de quoi ils risquent de perdre des financements, ainsi que l’a rappelé Shaun Lovejoy. Mais ils ont surtout intérêt à obtenir pour leur établissement des subventions de recherche en exploitant ce filon. Ainsi s’explique que certains de nos dirigeants se mettent tout à coup à parler pieusement la langue de la justice sociale sans en croire un mot. Ainsi s’explique surtout que la justice sociale et ses thématiques se trouvent détournées et instrumentalisées. Elles consacrent la nouvelle rhétorique de l’institution, une version dogmatique et caricaturale qui a peu à voir avec la réalité ordinaire du militant. »