Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mardi 17 avril 2018

ÉCHELLE DE LA PENSÉE

Au fond, par les « opérations spécifiques » (p. 22) dont elle est capable, la science mystique, science paradoxale, science expérimentale, suspecte et tenue en lisière de l’institution des savoirs, se classe à son tour – comme manière de parler et manière de signifier – parmi les arts de faire. Elle se charge même d’une valeur paradigmatique, ainsi que le vérifie l’ouverture du tome I : « Le fondamental est chez [les mystiques] indissociable de l’insignifiant. C’est ce qui donne du relief à l’anodin. Quelque chose bouge dans le quotidien. Le discours mystique transforme le détail en mythe ; il s’y accroche, il l’exorbite, il le multiplie, il le divinise. Il en fait son historicité propre. Ce pathos du détail […] se marque d’abord en ceci que le minuscule découpe une suspension du sens dans le continuum de l’interprétation. Un éclat tient l’attention en arrêt. Instant extatique, éclair d’insignifiance, ce fragment d’inconnu introduit un silence dans la prolifération herméneutique. » (édition citée, p. 19). L’œuvre y découpe ses objets, elle donne son échelle propre comme on parle de l’échelle d’une carte de géographie.

TATOUAGES ET AUTRES STIGMATES

À la « dramaturgie corporelle » que résume De Certeau au début du deuxième volume de La fable mystique (Gallimard, 2013, p. 27) est associée avant tout « une phénoménologie, dispersée, mais intarissable, de “singularités” physiologiques (plaies, incisions, pertes de sang, enflures, lévitations, distorsions physiques) ou sensorielles (touchers internes, dégoûts, hallucinations olfactives, auditives ou visuelles) »  – ces « tatouages » qui deviennent à l’occasion stigmates sont peut-être qualifiés de « signatures corporelles » (p. 26) mais ont pourtant peu à voir avec quelque corps de l’écriture, sur lequel se clôt par contre le volume précédent.

CULTURE DU LANGAGE


Jean-Louis Chiss, La Culture du langage et les idéologies linguistiques, Limoges, Lambert-Lucas, 2018, 240 p.

LA PASSION NOMADE

L’insistance portée sur la figure passante du mystique ; et la relation aux lieux : topique et « atopie », un lieu où se perdre. Corrélation avec les diagrammes et les pas de la ville dans L’Invention du quotidien. Le nœud est le corps, et sa relation au dire : il tient entre le modus loquendi et une « écriture » qui « se développe essentiellement comme une manière de marcher » (p. 402). Car ce qui est mystique est ce qui « ne peut s’arrêter de marcher » au nom du « ça » qui le porte (p. 411). Labadie. Mais le propos s’effrite en métaphores : « la marche sonore du poème » (p. 408), « le poème, comme toujours, devance la marche » et « mais peut-être l’a-t-elle rendu possible » (p. 405). D’où ce report : « Le converti ne se contente pas de quitter des lieux ; tel un “shifter” (au sens que Jakobson donne à ce terme) », et le choix du mot non-traduit est doublement motivé par sa sémantique (comparativement aux « indices », « indicateurs », « indexicaux » et autres « déictiques »), « il les met en mouvement et les brouille comme des cartes » (p. 389). Là où peut-être le concept casse le plus, enfermant la pensée dans le piège du temps (de son époque).

CORPS ÉCRIT

Ces modi significandi, De Certeau s’en approche à coups de métaphores. Du « silence dans la rumeur des mots » (p. 208), envisagé comme « effets d’un silence dans le langage » (p. 258), au « parler inaudible » (p. 259) comme à « l’écho, inarticulable, d’un Sujet inconnu » dont le locuteur devient le siège ou fiction de l’âme – habitée et parlée, ou même au « corps qui parle » (p. 404). C’est le nouveau régime de discours qu’assume ce qu’il appelle la phrase mystique– empruntant la définition de l’époque, celle qui s’installe au XVIIsiècle bien avant la grammaticalisation du terme : « façon de parler », « manière d’expression », « construction d’un petit nombre de paroles » (Richelet) que De Certeau commente en pleine cohérence sous l’espèce de « tournures » ou d’« usages » (p. 183). Cette « phrase mystique » peut néanmoins devenir le lieu du « poème mystique » (p. 245) en tant qu’elle produit non une ontologie du signe ou une ontologie du vrai, mais « dans le langage des effets relatifs à ce qui n’est pas dans le langage » (p. 200) jusqu’à devenir un « artefact du Silence » (p. 208). En ce sens, la phrase mystique ressortit bien aux « manières de parler mystiques » (p. 205) ; plus que des expressions et des tournures cependant, le « “corps” qui y parle », dont De Certeau essaie de tenir le difficile concept, parfois raté sous la forme du lexique (p. 272) ; bref, tout ce qui – blessé, glorieux, écrit dans la geste mystique – participe de cette invention ouverte d’un « corps pour l’Autre » (p. 405). 

MODUS LOQUENDI

Il y un embarras quand même à coordonner de la sorte les termes du débat, et inévitablement à leur retirer complexité et résonance. Une réserve potentielle de la lecture (dans l’acception logique et physique du terme). D’un côté, si la manière, et De Certeau en circonscrit le champ conceptuellement instable pour sa période – manière / manières / maniérisme (p. 194-196) – se pense comme modus, elle ouvre sur une grammaire et même une sémiotique des modalités. Pouvoir, devoir, vouloir sur l’axe du savoir, du dire, du faire : la classification des verbes dits modaux, et la mise en tension entre l’opération mystique et l’opération de vérité, ce qui intéresse l’auteur de prime abord ; la « distribution pronominale » que complète la « distribution des modalités » (p. 254). En regard, un modus loquendi qui regarde vers des modi significandi, c’est-à-dire des « modes actifs ou passifs » qui obligent à s’interroger sur la « force » des « mots » (p. 173) en deçà ou au-delà d’une perspective illocutoire.

ALLOCUTION (III)

S’il y a cette conception contractuelle des sujets, c’est que la communication mystique présuppose « l’institution de dire » (p. 243). Ou si l’on veut, que le dire se rapporte régulièrement à cette présupposition institutionnelle. Sur cette base se partagent et se redistribuent sans cesse l’ici et l’ailleurs, l’homogène et l’hétérogène, le dedans et le dehors (avec démarquage de la ligne Blanchot-Foucault). C’est dans ce cadre que la manière de parler qui serait la manière mystique même devient « une manière de pratiquer autrement le langage reçu » (p. 28-29), indice d’altérité qui s’achève à certains endroits de la démonstration dans les différences du style ; à d’autres qui s’organise non moins formellement, techniquement, – en son éthique propre – comme « l’art de produire des combinaisons et des artefacts de toutes sortes » (p. 121). Ce qui se dispose évidemment en continu de la théorie des pratiques, des usages et des formalités dans L’Invention du quotidien

ALLOCUTION (II)

Cette « dramatique de l’allocution » (p. 223) valide le juridisme propre de la pragmatique. Elle comporte sa part de mythologie. À plusieurs reprises, il est fait mention de « contrats énonciatifs » (p. 65) et même de « contrats du langage » (p. 69). S’il s’agit bien de saisir les « changements entre les locuteurs » au gré de ces contrats, c’est le langage qui lie ou relie, mettant au jour des « formalités relationnelles » (p. 65). La communication de nature spirituelle devient ce lieu capable de « créer des accords entre volontés pour établir de nouvelles règles et pour former ainsi des unités sociales » (p. 227) et, s’il était vraiment nécessaire de préciser quel modèle de l’individuation est ici à l’œuvre, l’auteur pose de lui-même explicitement que « le volo est l’priori et non l’effet du discours » (p. 228). Ce qui revient à dire que le langage, et a fortiori la langue, présuppose du sujet, des sujets.

ALLOCUTION (I)

La « pragmatique de la communication » (p. 165) se laisse décrire au rang d’une « dramatique de l’allocution » (p. 223), selon une théâtralité des places et des rôles. Mais elle donne lieu sinon à une indétermination du moins à une interchangeabilité des catégories énonciatives, qui est symptomatique de la théorie du sujet, et spécifiquement de la théorie de l’altérité que prend en charge la mystique (car la mystique, selon De Certeau, reste le lieu même de l’autre, ce qui vient briser l’homogène ; et l’enjeu est toujours de « dire l’autre » (p. 21) du sein même de la tradition et de l’institution religieuses), – soit : interlocuteursdestinateur et destinatairelocuteur et « allocutaire », etc. 

UN ART DE PARLER

Cet « art de parler » apparaît comme une expression elle-même modalisée. Sans être incertaine, elle demande d’être explorée. Mais elle porte et conserve de multiples ambiguïtés qui, pour être déclinées une à une, ne sont pas vraiment dénouées. En premier lieu, ce qui liant l’art de parler à des « manières de parler » s’inscrit aussitôt dans l’histoire de la rhétorique et les « arts de seconde rhétorique » (p. 157). L’idée de manière y subit une restriction technique : « une manière de “tourner” » (p. 259) qui l’assimile même imparfaitement à « un procédé » ou à « un “style” » (p. 131 et 135). En second lieu, cet art de parler se déploie à l’image d’une grammaire modale, ou plus rigoureusement, d’une grammaire des modalités : il y a un modus loquendi (p. 109) comme il y a un modus agendi ou des modi significandi (p. 173). En dernier lieu, il engage une « théorie du discours adresséefficace et circonstanciel » (p. 167). Une rhétorique, une logique, une pragmatique.

L'INFINI ET LA LANGUE (DE LA MYSTIQUE)

À parcourir de nouveau La fable mystique (t. I, Gallimard, coll. « Tel », 1982), ouvrage ouvert il y a presque trop longtemps, c’est à l’évidence la cohérence de l’ensemble qui se détache, en plus d’être cet objet d’histoire privilégié – disons même : central – pour l’œuvre. Mais aussi ce qu’il en explicite. Certes, la mystique y est fondée comme problématique du langage, en tant qu’elle se réclame d’être elle-même « science » problématique aux XVIeet XVIIsiècles. Ces deux aspects sont en vérité inséparables. Il y a bien articulation de la « connaissance mystique » sur « du langage » (p. 158) en tant que cette connaissance est en devenir – ce qu’il y a à connaître– parce qu’elle noue « l’infini et la langue », confronte de surcroît le discours à « l’affirmation théologale que la parole ne saurait manquer » (p. 158), mais ce qui est défini au titre de la « condition même de la connaissance » (p. 221) est aussitôt posé comme « nouvel “art de parler” » (p. 158).

dimanche 8 avril 2018

PERFORMANCES MUSICALES ET ALLOCUTIONS


EN AVANT LA MUSIQUE !

Le bilan médiatique de la manifestation du 7 avril 2018 et une direction d’école obstinément désemparée et muette :


mardi 3 avril 2018

OISEAU-PIGMENT


Celui que les locuteurs québécophones s’entêtent à ne jamais passer au pluriel en –aux, alors qu’il doit à l’évidence son identité à sa robe rouge de diacre. Au reste, s’il se tient ici en garant des régularités morphologiques, il se découvre surtout signe prometteur d’un long dégel, sous des températures encore piquantes, au milieu des sols humides et instables que déserte peu à peu l’hiver. L’oiseau-pigment prend par surprise le paysage.