Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

dimanche 23 avril 2023

CONTRE-VOIX

   Texte exceptionnel par la limpidité des enjeux de Michel Roche : « L’idéologie intersectionnaliste et la question nationale » (L’action nationale, vol. CX, n. 7, sept. 2020). Démontage efficace des apories différentialistes. L’analyse est également intéressante comme contre-voix aux dominantes du milieu universitaire et du discours social, le travail critique y est pris dans le prisme du nationalisme de gauche québécois et du projet (ou du rêve) indépendantiste, et tend par conséquent à démystifier le discours de l’identitaire. Le point de convergence essentiel est pour moi l’élitisme populiste de la nouvelle gauche et son mépris de classe.

mardi 18 avril 2023

COMMUN

   Le point politique – décliné sur un mode deleuzien – tourne autour du rapport entre « minorité » et « commun ». C’est la butée. Le récit n’échappe pas à une forme de contre-sacralisation subversive de la minorité – comme puissance. Il doit le mesurer au nouveau désir collectif – et à la nécessité du commun, bref au besoin du « commun » et de faire sortir les minorités « de la minorité » (p. 44). C’est ici que le récit est le moins lucide. L’étiolement des gauches dont il parle c’est d’abord l’émiettement des gauches qu’il reconnaît et acte – et la gauche woke en ajoute une couche en plus d’être extrêmement divisive. La déclinaison états-unienne des identités contre ce qu’il appelle le « vieil universel » n’est pas le garant du commun. Cusset défend l’intersectionnalité comme condition du multiple ; mais elle empile plutôt les oppressions, elle ne met pas fin au discontinu, elle l’aggrave. La critique des dualismes (féminin vs masculin, nature vs culture – mais est-ce nouveau ?) que Cusset voit bien me semble davantage déboucher sur du mythe – et de nouveaux essentialismes – que sur une nouvelle politique des individuations. Si la décolonialité ouvre sur une reconception critique de l’universalité, c’est peut-être le vieil universel qui est à reprendre contre les essentialismes du divers. La logique des minorités éloigne aussi par les luttes culturelles en soi légitimes d’un front commun, notamment en larguant les inégalités socioéconomiques qui débordent les divisions raciales ou les disparités de genre. Là-dessus, je donne raison aux gauches universalistes (Roza, Neiman, etc.). Car c’est quand même le ciment qui manque à ces luttes. Cusset reste fidèle au modèle butlérien de lallyship. Avec ça on est assuré de perdre ses batailles. Ce n’est pas d’alliance dont les gauches ont besoin mais d’une utopie commune. 

COUPURE

   Le moment méthodologique du récit se trouve p. 15 : « Si l’on retire de cette liste le “woke-washing” et l’enfumage managérial, tout ce qui relève d’une récupération des luttes minoritaires par les forces du marché – qui en sont moins l’allié que la cible plus ou moins directe, et la cause profonde de la guerre en cours » (je souligne). Cusset me semble apercevoir le problème. Il éclaire aussi pour moi ce qui est mon chantier depuis trois ans : le langage auquel donne lieu inversement cette prise de parole, mais qui me semble pour cette raison proportionnellement inaudible. Et il y a des réactifs qui le montrent : les mouvements d’humeur d’Olufemi Taiwo et autres penseurs militants noirs par exemple, qui ne se trompent pas aux gigantesques arnaques du pouvoir et du capital. L’impression encore plus nette à le lire que j’ai de travailler sur l’autre morceau du problème. Mais c’est là aussi la divergence, qui se vérifie plus loin, p. 28 : « Car l’impact des États-Unis sur le reste du monde tient moins au lexique antiraciste ou au féminisme en réseau qu’à des phénomènes autrement décisifs : la contagion de leurs techniques de marketing, de leur management agressif ». C’est réduire antiracisme et féminisme au lexique ; c’est oublier complètement la révolution managériale – le marketing des identités, des genres, des sexes, des races. L’idéologie EDI des entreprises dans laquelle prend également le néolibéralisme d’État et son interventionnisme, État-providence en trompe-l’œil. On peut séparer pour les besoins de la compréhension comme Cusset le fait. La réalité est autre cependant : il y a ce que j’appelle la wokeness comme discours dominant – et pratiques. Et elle s’explique aussi par la sociologie des diplômés – droit, affaires, sciences humaines, santé (Campbell, Manning) – toutes les pleureuses de Berkeley, Harvard, Stanford qui vous parlent diversité et équité (amen) ; et qui ont été nourris à certaines théories qu’ils mettent en œuvre ou adaptent dans leurs domaines professionnels. Elle s’explique aussi par ce fait – élémentaire – que les wokes, ce n’est pas le beau portrait de la jeunesse du monde qu’en dresse Cusset, qui n’existe pas en soi, pas plus qu’il n’existe des « minorités mondiales » comme il le postule (pas si simple : des minorités produites par la, les mondialisations, sans doute, mais c’est autre chose), mais une majorité blanche, progressiste, diplômée, etc. (O. Moos).

RUSES

   Le point le plus important est sans nul doute le choix de méthode pour rendre au phénomène son intelligibilité : c’est le travail à ras du sol, à partir des minorités et surtout des associations, groupes et groupuscules, réseaux, tous les rhizomes qui nourrissent les mobilisations sociales actuelles. Et là je suis assez sensible à « la palette élargie de tactiques, de ruses et de pressions » (p. 31), le champ des réappropriations, des remanipulations, des braconnages. On est bien dans la prise de parole. Voir mon texte sur la cancel culture (numéro à venir du BHP, juin 2023). Mais c’est aussi là que le bât blesse : à plusieurs reprises, non sans accents révolutionnaristes voire eschatologiques (cf. l’anaphore de « quelque chose se lève », p. 19), avec cependant sa valeur d’indéfini, en devenir, la lutte brouillonne, dispersée, fragmentaire, etc., l’historicité d’un je-ne-sais-quoi, ce qui n’a pas encore de nom, et qui déborde l’appellatif woke, comme assignation identitaire polémique. Parce que Cusset parle de la jeunesse du monde : mais de qui parle-t-il exactement ? Terme trompeur, biologique-générationnel, démographique, mais encore ? Il manque très sérieusement une sociologie des acteurs, qui viendrait brouiller considérablement son propre récit et ses binarismes ou raccourcis urticants.

CUL SEC

    Cul sec Cusset : La haine de l’émancipation. Debout la jeunesse du monde. Tracts-Gallimard 2023. La belle fable qu’il nous raconte là! Exaspération palpable à découvrir un récit d’abord très binaire, les wokes et anti-wokes – exactement la logique contre laquelle je me bats depuis trois ans. Les ressorts non moins polémiques en réponse aux pamphlétaires et autres « ennemis du progrès » ou « croisés du moment » (p. 30) et la démarche également monolithique : la droite est tout ce qui est à ma droite, et cela va apparemment des anti-communautaristes sociaux-démocrates bien-pensants aux identitaires d'extrême-droite. La multiplication des angles morts. Les mêmes stratégies de déni et d’euphémisation que chez Dupuis-Déri : l’épouvantail. Ce qui revient à se débarrasser des faits. Tanné. Au point que Cusset écrit : « Woke est un écran de fumée, le tour de passe-passe de fabricants de paniques morales et de victoires électorales. Un mot de droite, qu’on peut laisser aux droites, et passer enfin à autre chose » (p. 22). Ce qui n’est possible qu’à la condition de couper dans la philologie et de réduire l’emploi de ce mot à ses usages polémiques. Stanley Cohen bien commode aussi. Très français cependant dans l’ancrage du débat et des références, les décennies Sarkozy-Macron, qui me rappelle avec effroi – accessoirement – pourquoi je suis parti (les déversements hystériques de foi nationaliste à la radio m’ont rendu alors antipathique le pays). La montée désespérante aux dernières élections de l’extrême-droite. Les manœuvres du pouvoir, des pouvoirs en place : la querelle de l’islamo-gauchisme ; le colloque sur la « Déconstruction » ; l’observatoire sur le décolonialisme ; Fondapol que j’avais déjà repéré il y a longtemps (et ses contributions notables : Nathalie Heinich…) Il serait long de détailler tous les commentaires, parce que le récit pose dans sa dernière partie des « limites à ce tableau » (p. 38) et se révèle riche en contre-propositions. Dense.

dimanche 16 avril 2023

MIME

 Autres points chez C. V. Mills. Pas mal d’éléments qui pointent vers une traduction désinvolte, Blackness qui s’oppose à Whiteness passée dans « Négritude »… Le jeu blancheur/blanchité. C’est le récit racial mis en place dans les années 90. Comme souvent : lecture intuitive mais la démonstration ne suit pas, ça part en couilles, une fois de plus. L’histoire de la philosophie y est particulièrement simpliste. Elle ne conteste pas les termes de la logique contractualiste. Analyse très téléologique de la question depuis le moment hobbesien en fonction du suprématisme blanc des colonialismes XVIIIe-XXe siècles. Autant l’observation critique à l’égard de Rawls semble justifiée, sa Théorie de la justice jamais n'évoque la lutte des Civil Rights, autant les commentaires sur Hobbes, Rousseau, Kant se font pas mal sur du détail et aux marges – mime derridien, mais sans que cela débouche sur une (ré)interprétation systématique et élucidante. Et puis : les contre-exemples qui font résistance, le colonialisme japonais sur lequel l'auteur revient ; la traite arabo-musulmane, etc. La conclusion : guerre des essentialismes ; guerre des races : les Jaunes, les Rouges, les Blancs, les Noirs. Yellowness ? Redness ?, etc. 

À FAIBLE COÛT

    Au sens propre, les EDI tendent à confisquer la critique du capital, et d’un néolibéralisme dans lequel infuse malgré elle la gauche radicale. Elle en perçoit d’autres formes hautement violentes et toxiques, mais elle peine à se distancer de celle-ci. Je la trouve cependant muette et inactive dans ce dossier. Ce progressisme peut laisser croire que le paradigme néolibéral s’infléchit; après tout, on a d’autres signaux depuis la crise de 2008, la pandémie, le recentrage sur le rôle et l’aide des États, etc. Mais ce progressisme caractéristique des élites n’entraîne que des changements minimaux au plan social. On est très loin d’une politique égalitaire pour tous. La rhétorique gauchiste des classes supérieures peut d’autant plus se radicaliser (la politique de campus pratiquée par certains en est la version la plus caricaturale) que socialement de telles mesures sont peu coûteuses en vérité. Du courant dit « woke », puissant socialement, intellectuellement pauvre, il y a ce point essentiel toutefois : sa place dans le spectre politique importe au moins en ce qu’il interdit le retour au simple statu quo pour ce qui regarde l’injustice raciale et les inégalités de genre. Pour le reste…

DU DIALOGIQUE

    Taylor dans sa « Politics of Recognition » : le nœud reconnaissance/dialogue est envisagé en « note » et sur le modèle bakhtinien. L’importance de la « place du dialogique dans la vie humaine » est certes explicitement posée, mais pas de concept pour penser véritablement un tel processus : « ma propre identité dépend vitalement de mes relations dialogiques avec les autres » (p. 70). Dans les faits, cette identité existe a priori, elle n’a pas besoin du langage et des langues pour advenir.

samedi 15 avril 2023

GAUCHE MONDAINE

    Une phrase de Walter Benn Michaels sur laquelle je tombe dans son opuscule : que la diversité et les politiques EDI actuelles sont « le gauchisme des classes supérieures », la classe savante en premier lieu, qui a son lot de responsabilités ici – et lourdement. C’est le gauchisme des DiAngelo et Kendi, des clowns Fassin, de certaines chroniqueuses en vue ici, qui prospèrent de longue date sur les créneaux « race » et « genre ». Cette gauche qui n'a rien à dire (ou ne trouve rien à redire) des EDI et de l'ordre inégalitaire que, fatalement, elles perpétuent, le socio-économique étant hypothéqué. Une gauche tellement marxiste qu'elle ne fait plus la critique minimale du capital. C'est la gauche mondaine, décrite dans le Voyant d'Étampes, sa version française. Autre point, qui m’a semblé être relevé par une des intervenantes du débat du MIT, mais j’ai peut-être halluciné : les associations stéréotypées, le Blanc ponctuel, etc., cela viendrait du père de la Diversité (ou du management diversitaire), saint Thomas Roosevelt Jr lui-même. J’avoue ne pas avoir la force de consommer ses trois livres. Mais ce serait intéressant de voir ce que les ateliers de formation EDI en recaptent et en répètent. Une vraie tradition.

lundi 10 avril 2023

POSITIONNALITÉ

 Après les DEI statements, exigés dans les processus d’embauche, et attaqués désormais par les législateurs conservateurs, évidemment, les positionality statements demandés aux contributeurs de revues, notamment en sciences sociales, sous couvert de mettre au jour les biais au cœur de l’objectivation et de l’objectivité – particulièrement si l’identité du chercheur est celle du blanc mâle, etc. Le contrôle social des idées au lieu du véritable travail critique de la pensée. Un des effets d’entraînement des EDI et de l’épistémologie perspectiviste : une nouvelle étape dans le grand récit collectif de l’émancipation contemporaine… Voir Christopher J. Ferguson : Ideological Signaling Has NRole in Research (The Chronicle of Higher Education, 04.04.2023).

dimanche 9 avril 2023

MÉTACRITIQUE

 Petite déception en fermant l’essai de Susan Neiman. Les mêmes lieux communs de la conversation politique, universalism vs tribalism, justice vs power, progress and doom, même si certains rappels nécessaires et bienvenus sur les arguments adressés contre les Lumières (c’est qui ? c’est quoi ? d’abord). À noter le même ciblage que chez Roza sur les ambiguïtés de Foucault, The Dialectic of Enlightment de Horkheimer et Adorno. Passages intéressants sur Carl Schmitt, récupéré à gauche. Left is not Woke. J’ajoute : Woke is not LeftAutre point : sur les ambivalences politiques du foucaldisme, le même oubli de la théorie politique de la culture selon Michel de Certeau.

samedi 8 avril 2023

GROUPES

    Discussion avec YL sur l’idée récurrente des « groupes » : les groupes cibles du rapport Abella, Autochtones, femmes, personnes à handicap, minorités visibles, auxquels s’ajoutent les communautés LGBTQ. L’enjeu me semble être celui de la division du social, les catégories avec lesquelles on pense, et corrélativement une question d’épistémologie. Mais on n’est pas dans la critique du discours. Ni même dans la réflexivité selon Bourdieu. Les plans EDI, c’est de la sociologie du dimanche, comme on parle des peintres du dimanche. Groupes-cibles. Groupes-désignés. Groupes-marginalisés. Autochtones : ce sont au Québec au moins 11 nations, qui n’ont pas la même histoire, ni les mêmes rapports au groupe majoritaire, au pouvoir provincial. Les femmes : certaines peuvent avoir des avantages sur pas mal d’hommes ; surtout, elles ne sont pas égales entre elles, en termes de capital linguistique, social, culturel, scolaire. Comme pour les « jeunes », notion biologique ou générationnelle, la tranche d’âge masque les disparités sociales de la population considérée. C’est sans hasard que l’inégalité socio-économique est le point de butée. Le « groupe » évacue par sa transversalité la « classe ». Le groupe est trans-classe. Au reste, les femmes ne sont pas une classe ; mais sont-elles un groupe ? En regard, l’intersectionnalité est un marqueur de discontinuité, il empile les « oppressions », en s’efforçant de conjoindre ce qui est délié. L’autre versant de cette discontinuité c’est au plan de la militance et de l’action politisée l’alliance.

ÉTHIQUE ET MANAGEMENT

 Sans doute les EDI correspondent-elles à un management de la vertu ou au paradigme de la responsabilité sociétale des entreprises. Mais l’éveil antiraciste et décolonialiste ne sert pas uniquement une moralisation du management et à travers lui du capital. Le management avance un agenda non moins politique. Voir à ce sujet la sociologie des militants (Campbell & Manning). Ce management éthique qui se rend incontestable en raison même des valeurs qu’il promeut – diversité, équité, inclusion – et qui explique qu’il n’existe pas actuellement de véritable contre-discours à son sujet – mais uniquement des backlashes non moins politisés, et qui ne touchent à rien d’essentiel (voir les mesures législatives des États républicains aux USA) – ce management éthique est ce qui confisque la critique du capital, et en premier lieu la critique des mutations entrepreneuriales de l’université et néolibérales des savoirs.

L'INDUSTRIE DU FOR INTIME

    J’ai toujours vu, et depuis le début, dans les EDI ce « langage » ou norme dominante, doxa ou nouvelle formation discursive, propre à défaire toute prise de parole que l’on voudrait reconnaître dans le courant actuel de justice sociale. Il me semble incontestable que le troisième awakening auquel on assiste, en ses racines anglo-protestantes, est pris en charge sous l’espèce d’une industrie particulièrement lucrative de la « conscience », du for intime. Le marché de l’antiracisme, dans ses formes les plus spectaculaires (par exemple, la mode des blanches et très bourgeoises américaines qui se font dire leurs biais racistes moyennant de coquettes sommes) n’en est qu’une dimension. Reprendre Weber. Boltanski-Chiapello.

INCLUSIVE GROWTH

   La gestion inclusive doit déboucher sur ce que le rapport McKinsey appelle – et l’expression est absolument délicieuse – une « inclusive growth »  étrange oxymore, concept hybride ou monstrueux, à la fois économiste et progressiste. Une croissance sans laissés pour compte. Ô l’admirable utopie!

GRAMMAIRE NÉOLIBÉRALE

   En phase avec l’individu néolibéral, c’est la langue qui informe ce modèle collectif. D’où l’insistance autour d’une communication designée, les disclosures et self-identifications, toute la grammaire de la sensibilisation à l’autre, aux sexualités, aux genres, etc. Mais l’inclusion est-elle cohésion ?

GESTION INCLUSIVE

     Ce sont les termes employés par le « Livre blanc » de la Chaire pour les femmes en science et en génie. La déclinaison managériale s’y déploie ostensiblement, le rapport a été financé en plus des organismes publics et gouvernementaux par Hatch et Rio Tinto… Énième illustration du paradigme inclusif : celui-ci consiste non seulement à valoriser les différences – la diversité – mais, en vertu d’une politique proactive, à instaurer un environnement intégrant chacune de ces différences. La firme de consultants McKinsey  recapte elle aussi tous les thèmes woke : microagression ; intersectionnalité ; redevabilité (accountability) ; ouverture d’esprit (openness et inclusiveness). L’essentiel est selon elle que les « companies should build a culture in which all employees feel they can bring their whole selves to work. » (Diversity Wins. How Inclusion Matters, mai 2020, p. 6). L’idée revient à plusieurs reprises dans le dossier, mais la visée managériale est bien de créer du collectif sur la base d’instances individuelles déliées.

mercredi 5 avril 2023

LE MARCHÉ DE L'ANTIRACISME

   Autre exemple d’amalgame intéressé autour d’une formation sur le racisme et la censure d’État, les auteures se défendant au nom de la loi 32. À ceci près qu’il ne s’agit pas de recherche, mais de business et de contrat commercial, sur fond de conflit idéologique : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1968628/formation-racisme-systemique-censure-quebec-sante.

DÉBATS SUR LES EDI

  Intéressant débat sur les bureaucraties et les mesures EDI, organisé par le MIT Free Speech Alliance : Debate : Should Academic DEI Programs be Abolished? (04.04.2023). Un peu irrité au début par la sémiotique binaire, negative team vs positive team, le jeu conservateurs-progressistes– et le choix très gender- and race-based des intervenants, politiquement correct. Ce qui apparaît d’abord : a) la possibilité d’en parler et de le questionner, et c’est à relier ici avec les deux journées par Martin Drapeau les 20 et 21 avril prochains : Diversité, équité, inclusion et liberté universitaire : un dialogue franc et honnête. Ces critiques ne sont sans doute pas inséparables du contexte nouveau, et du début de backlash auquel on assiste, qui prend une forme violemment politisée aux États-Unis, et pour le moins inquiétante ; b) les intervenants s’accordent pour dire que les bureaucraties have gone off the rails. Oui, mais what rails? et quelle serait la bonne voie ou la bonne manière ?; c) les dépenses considérables consenties dans ce domaine reviennent à demander aux établissements du supérieur de corriger les inégalités de la société – ce qui, à titre de simple réalisme, me semble au-delà de leurs moyens et fait chaque l’économie d’une analyse de la société et des mécanismes correcteurs ; d) l’autre point, soulevé par une des intervenantes, c’est qu’on ne peut pas évidemment jeter le bébé avec l’eau du bain, et que l’exigence de justice, elle est là et se fait entendre.

lundi 3 avril 2023

LANGUE

   Sur CJAD 800, entrevue de Martin Drapeau : McGill University has been called out for their absence oFrench. (30 mars 2023)

LE MANAGÉRIAL ET LE COLLÉGIAL

 Probablement le travail le plus avancé dans le domaine de la sociologie du management. À côté de Ellen Berrey, The Enigma of Diversity, ou Laure Bereni, Le management de la vertu, le couple Dobin & Kalev : Getting to Diversity – leurs articles : Why Diversity Programs Fail? (2016) ; Why Doesn’t Diversity Work? (2018) ; The Origins and Effects of Corporate Diversity Programs (2013), qui donne peut-être la synthèse historique la plus documentée sur la question. L’analyse des pour et des contre débouche néanmoins sur une perspective normative – aider les entreprises à réussir dans le domaine de la diversité là où elles échouaient. Ce faisant, ils ne questionnent pas le concept de diversité et ses limites. Ils ne contestent pas l’ordre économique dans lequel s’inscrivent ces pratiques managériales. Ils ne perçoivent pas le conflit dans le cas des universités entre la logique managériale, propre au capitalisme et à ses formes néolibérales spécialement, et la logique collégiale qui constitue l’institution de savoir.

dimanche 2 avril 2023

MISÈRE DU PRÉSENT

    Neiman en trajet cursif. Déception face aux mêmes contre-arguments employés par la gauche unwoke ou antiwoke : universalisme vs décolonialisme ; justice vs pouvoir ; déconstruction vs progrès. Soit. En l’état, je n’ai pas encore trouvé d’étude aussi fouillée que celle de Stéphanie Roza, qui demeure exemplaire par bien des points. Autre mise en débat, le texte d’opinion de Jérôme Lussier : Etes-vous progressiste, woke, conservateur ou nationaliste ? (Vaste Programme. 24 mars 2023). Enfin, dans le périscope : Sigal R. Ben-Porath, Cancel Wars. How Universities Can Foster Free Speech, Promote Inclusion, and Renew Democracy, The University of Chicago Press, 2023. Elle épingle Haidt et Lukianoff. À voir. Enfin, last but not least, le dernier avatar en matière de critique d’appropriation culturelle – on se surpasse dans l’espace public avec Kinder Surprise et les Inuits : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1967963/jouet-kinder-surprise-oeuf-inuk-inuit. Misère du présent.