Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 30 mars 2022

UL

       À croire que les événements s’enchaînent dans les universités de semaine en semaine. On n’a même plus le temps de bâiller. Le tir est parti de la droite, suite à la sortie de l’humoriste Guy Nantel, mais il a ricoché sur l’ensemble du spectre politique – les effets du programme fédéral des Chaires de Recherche du Canada : Des hommes blancs exclus d’appels de candidatures à l’UL. En vérité, non seulement ce n’est pas la première annonce de l’Université Laval, mais c’est le nouveau régime généralisé à l’ensemble des campus, Québec inclusivement : les candidatures de femmes, d’Autochtones, de personnes en situation de handicap et de celles appartenant aux minorités visibles sont retenues, mais en mettant à l’écart les hommes blancs… Condamnation presque unanime de la classe politique québécoise : ici et . Réveil plutôt tardif des dirigeants alors que les dossiers EDI sont devenus préoccupants depuis 2017. La suite qu’on n'a pas envie de voir, spécialement le cadre idéologique. La mise en pratique du discours comme The Equity Myth. Voir mon article : « De la sociologie militante à la bureaucratie d’État » (BHL, automne 2022).

mardi 29 mars 2022

L'AFFAIRE CARLEY

    Du même niveau que les saillies polémiques d’Amir Attaran lan passé : « fascisme » et « dénazification de l’Ukraine » selon Michael J. Carley ; en face, liberté académique, fake news et révisionnisme historique : Malaise à l’UdeM, un professeur pro-Poutine défend l’invasion russe (Romain Schué, Radio-Canada : 23 mars 2022). Sans parler du camp des émotifs et des vertueux qui crient haro sur le professeur et ses positions, en appelant aussitôt aux sanctions (La Presse : 27.03.2022). Condensé typique, et surtout imbrication complexe entre liberté académique et liberté d’expression. Voir la lecture de droite également, qui joue nationalisme contre nationalisme (Le Journal de Montréal : 26.03.2022).

lundi 28 mars 2022

MENTION/USAGE

     Note de Butler dans Le pouvoir des mots / Excitable Speech : « Gottlob Frege a soutenu qu’il existe une distinction entre utiliser un terme et le mentionner, suggérant par là qu’il était possible de se référer à un terme, c’est-à-dire de le mentionner, sans pour autant l’utiliser à proprement parler. Cette distinction ne peut cependant être maintenue pour les discours de haine, dont la mention est toujours en même temps une forme d’usage. » (Éditions Amsterdam, 2017, p. 72-73). Ce faisant, l’auteure touche un point capital – mais sans pour autant démontrer l’objection qu’elle énonce (le sentiment plutôt à la lecture qu’elle cherche à rapidement discréditer une distinction, longuement débattue dans la tradition logique, qui semble contraire à ses thèses).

lundi 21 mars 2022

TROIS SLOGANS

      

          
         

   Plus de dix jours d’occupation dans le hall du pavillon des Arts de McGill, puis : plus rien, suite à une éclosion de covid ! Le mouvement activiste Divest, à la base d’abord environnementaliste – la justice climatique (ce concept oxymorique) – avait installé ses tentes dans l’ancienne résidence du fondateur. Le même phénomène, quelques jours plus tard, à l'Université de Montréal. Un matin, partout sur le campus, le long des murs, sur les fenêtres, les piliers, les messages anarchistes et les invectives anti-autoritaires (All Cops are Bastards !) comblaient ce vide soudain. Rappel de la statue du fondateur, peinturée au rouge le plus vif en juillet 2021, un geste légitimé par la rectrice Suzanne Fortier comme manière de s’exprimer des activistes eu égard au passé esclavagiste de James McGill. On piaffe surtout d’impatience à la prochaine sortie rhétorique de l’administration. Car celle-ci est restée bien muette. Ces pratiques s’inscrivent bien entendu dans l’histoire du vandalisme et en contrepoint du déboulonnage de statues auquel on a assisté en Europe, en Amérique du Nord, dans nombre d’anciennes colonies. Ce qui retient l’attention du promeneur c’est l’art formulaire des revendications, croisant les attaques décoloniales contre l’institution et des allusions répétées au mouvement social de 2011 : « Occupy everything. Occupy McGill ». La part d’utopie – au sens propre : occupy everything. En noir, en rouge, trois slogans sur les anciennes pierres grises pour finir : decolonize, divest, democratize. Rien ne sera venu de luniversité elle-même qui, en moins de 48 heures, aura rapidement effacé les traces du terrible crime. Les cancelleurs cancellés en quelque sorte...

vendredi 4 mars 2022

UN CONCEPT EN DÉBAT

   Liberté universitaire encore : là où les visions s’affrontent, et sur des terrains qui sont chaque fois spécifiques, double entretien, Yves Gingras, Voice of the Expert (19’ – 25.02.2022) ; Éric Fassin, à l’invitation de Mame Fatou-Niang, University of Buffalo, Department of Romance Languages and Literatures (14.02.2022).

https://www.youtube.com/watch?v=gqFkzQv97-0

https://ub.hosted.panopto.com/Panopto/Pages/Viewer.aspx?id=ad4b47eb-d04b-484a-8b4d-ae3d013d4886

LIBERTÉS MALMENÉES - OTTAWA

     

   
  Libertés malmenées. Chronique d’une année trouble à l’Université d’Ottawa, Montréal, Léméac, 2022, 402 p. Le collectif attendu, sous la supervision d’Anne Gilbert, Maxime Prévost, Geneviève Tellier, préface d’Yves Gingras, « La mission oubliée de l’université », et un long entretien avec Verushka Lieutenant-Duval, avec les contributions, entre témoignages et analyses, de Pierre Anctil, Nathalie Bélanger, Geneviève Boucher, Marc Brosseau, François Charbonneau, Nelson Charest, E.-Martin Meunier, Isaac Nahon-Sefaty, Sylvie Paquerot, Christian Vandendorpe. Un fétu de paille, par lequel enfin respirer, à chaque page, dans l’océan des sottises et des dogmatismes ambiants.

DÉGÂTS

  Dans la performance #MeToo et l’émergence de soi – comme singularité numérique et subjectivité féminine, etc. – s’entendent également les dégâts occasionnés par les théories de Butler et son approche en particulier (Austin – Derrida) sur le langage. Chantier à considérer : Excitable Speech – les questions de liberté d’expression, d’offenses, de minorités y sont programmées (notoirement dans leurs nombreuses confusions).

VISIBILITÉ

       Démontage systématique de Sabine Prokhoris : Le Mirage #MeToo (Le Cherche Midi, 2021). Intéressante remarque d’abord sur la pusillanimité des éditeurs à accepter le manuscrit et c’est tout sauf surprenant dans l’ambiance délétère actuelle. Ils se pissent tous dessus, et se défroquent au moindre geste d’indignation ou d’accusation. Les courageux se comptent de plus en plus sur les doigts de la main. Ensuite, l’ironie parfois hargneuse qui, éthiquement, constitue plus un urticant – et tend le texte vers le polémique, ce dont il n’a pas besoin. La démonstration que ce mouvement détourne les causes féministes est on ne peut plus convaincante. Ce qui a toujours été ma réserve contre le courant pseudo-progressiste de certaines social justice warriors auto-proclamées, en plus des lynchages à gogo sur les réseaux sociaux (sachant que le mouvement nest pas non plus homogène et toutes les militantes sur le même plan, il va sans dire). Ce qui retient l’attention en dernier lieu, ce sont évidemment les traits paradigmatiques qu’a instaurés un tel mouvement : la remise en cause de l’État de droit ; l’essor des tribunaux populaires ; la collection des expériences – MeToo – somme d’individus – qui n’est pas nécessairement le gage d’une véritable entité politique – et c’est l’un des problèmes majeurs de la call-out culture comme de la cancel culture ; surtout : « Le statut “invisibilisé” de “victime-de-prédateurs”, à rendre visible. Il s’agit alors, en disant “moi aussi”, d’une performance – c’est éclatant dans le cas d’Adèle Haenel – censée retourner le stigmate, devenu par ce geste raison sociale et “fierté” sinon identité. » (p. 106). Où s’entend l’amalgame aux conséquences politiques majeures, également perceptibles dans l’écriture inclusive (voir le rôle du point médian et des décompositions méta dans l’ordre morphologique : tou.te.s, etc.), entre la visibilité et la représentation du demos. Et puis les bobos de l’élite (le monde du cinéma), tous ces malheureux « dominés » de l’âge néolibéral, qui en ont le moins à souffrir, l’indulgence me manque. Autant deffets qui invisibilisent de très réelles violences par ailleurs.

IGNORANCE

    Une variante en est cet échange extraordinaire sur France-Inter (19.11.2021) avec Julie Neveux, linguiste militante à propos du pronom « iel », récemment entré dans le Petit Robert en ligne : « Bien sûr qu’on ne l’entend pas, ne l’a jamais entendu, et d’ailleurs le plus grand nombre n’a pas encore rencontré de personnes non-binaires, il faudrait peut-être organiser [petit rire] des rencontres. » Comme si l’ignorance du pronom induisait par nécessité l’ignorance des personnes non-binaires. Derrière la condescendance, « organiser des rencontres », ce qui s’entend c’est l’ethos conservateur de l’élite : éclairer le peuple – qui déguise à peine le mépris de classe. L’observation qui précède de peu cette remarque, et rapproche dans l’ordre non-genré « iel » de « je », « tu », « nous », « vous » met en oubli la réalité de l’accord morphosyntaxique (« Les deux filles se sont rencontrées quand elles avaient huit ans »). Surtout puisqu’il est question d’être désigné et d’identité à reconnaître, et au-delà de titre civil, ce fait précisément que « iel » au même titre que « il » ou « elle » relève de la non-personne et sort du cadre de l’interlocution, celui de je/tu ou les extensions nous/vous. Cela a trait au délocuté (binaire ou non-binaire). Une pensée linguistique de l’individuation résolument absente du propos…

DU STYLE

     Au rang des lieux communs, cette déclaration du Guide de la communication inclusive de l’UQAM : « C’est une communication qui a du style. Inclusivité et style peuvent faire bon ménage. Il suffit de trouver le bon équilibre entre les différents procédés de rédaction. Les textes y gagnent en qualité et en justesse de représentation. » (p. 44) L’optique est prioritairement celle des techniques d’expression. Mais la notion de « style » ne concerne pas uniquement les procédés expressifs de la langue et leur potentiel de communication. Ce qui a du style, c’est en plus d’être représentatif, d’être distingué : ce qui est inclusif est moins ce qui totalise et rassemble que ce qui différencie. Autrement dit, le scripteur qui s’énoncerait par cette nouvelle orthographie gagnerait une plus-value sociale et culturelle. C’est sous l’angle de cette distinction que doit se comprendre une déclaration telle que : « En embrassant la diversité et en la rendant visible, elle peut contribuer  à la fidélisation et au sentiment d’appartenance parce que davantage de personnes se sentent interpellées. C’est une communication rassembleuse qui peut stimuler la prise de parole et donner une voix plus forte à différents groupes. » (p. 45). Le sentiment d’appartenance : on ne saurait mieux avouer l’esprit de corps et le sens de la classe – celle qui a les instruments du savoir, de la langue, de la transmission, etc. À mes yeux, l’écriture inclusive, en plus des défis cognitifs posés par la reconnaissance élémentaire de certains morphèmes et par la didactique et l’apprentissage de ces formes – est sans doute ce qui révèle le plus clairement la dimension résolument élitaire de l’éveillisme et du mouvement de justice sociale. Le style de gauche, de cette (pseudo-)gauche qui se pique de célèbrer avec un lyrisme appuyé la diversité qu’elle fantasme d’abord pour elle-même.