Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

dimanche 8 novembre 2020

NÈGRES

       Comme s’il en pleuvait… J’étais loin, très loin, perdu grâce aux Cloches de la Terre d’Alain Corbin, et cette méthodologie historiographique par le sensible ne cesse pas de m’étonner, de retour au milieu d’anciens terroirs quand la controverse a éclaté. Après les panthéonades Rimbaud / Verlaine, non moins ridicule, the N-word ou ce qu’on appelle désormais « l’affaire Lieutenant-Duval » survenue à l’Université d’Ottawa. La chronique est établie par Isabelle Hachey, sous le titre ironique « L’étudiant a toujours raison », pour le compte de La Presse au Québec (https://www.lapresse.ca/actualites/2020-10-15/l-etudiant-a-toujours-raison.php). C’est que d’académique la question, rapidement disputée en Ontario et au sein du Canada anglophone sur les ondes, à la télévision, dans la presse et les médias sociaux, laisse également apparaître des différences et des clivages considérables avec le Québec. De sociale l’affaire est enfin devenue politique, puisqu’elle divise à son tour le pouvoir et les partis en présence, sans parler des divergences-convergences provinces/État fédéral. Dans cette histoire grotesque jusqu’à l’absurde, mais qui a des conséquences pratiques et institutionnelles – suspension provisoire de la chargée de cours Lieutenant-Duval, lettre de soutien d’une trentaine de collègues du même établissement, cibles à leur tour d’intimidation, appel à démission du syndicat étudiant d’Ottawa, etc. – il ne se passe pas une journée sans qu’un papier ne paraisse à ce sujet, dans un sens comme dans l’autre. Ennui. Lassitude. On se dit cependant que la controverse n’échappe pas à la règle : comme très souvent, les termes de la dispute dissimulent des enjeux plus complexes ou moins visibles dans l’immédiat. On se dit qu’elle ne se sépare pas non plus de durables tensions récentes – il est entendu que rien n’advient par accident – tout en étant située en un temps de bascule – le retour des grands Blancs d’Amérique depuis janvier 2017, Black Lives Matter, George Floyd, etc. – Le dossier a ses repères, ne serait-ce que par les thèses en présence : la culture du sensible, ou de l’hyper-sensible, la nécessité éthique et même l’injonction collective à euphémiser ou même éclipser le mot – dégradant et humiliant par la charge historique de ses emplois dans l’espace de la salle de classe par respect pour les vaincus, spécialement les communautés noires ; la contre-réactivité défensive, rejet d’une police des mots et de la censure au nom de la liberté académique et plus largement de la liberté d’expression. La ligne de faille passe à l’intérieur de l’enceinte universitaire elle-même. Voir à titre d’exemple un dernier état de la discussion par Yves Gingras (département d’histoire, UQAM) : https://www.ledevoir.com/opinion/idees/589295/affaire-lieutenant-duval-ennemis-interieurs-de-la-liberte-universitaire. Quoi qu’il en soit des arguments, des accusations de racisme et des amalgames entre divers dossiers en débat, il est remarquable qu’ils s’ordonnent autour d’un couple nigger/nègre, qui montre que cette controverse est d’abord une controverse sur le langage (et a fortiori sur les langues), qu’elle en produit à chaque fois le commentaire. C’est que nigger et nègre ne sont des catégories anthropologiques, culturelles et politiques, qu’en étant en premier lieu des catégories linguistiques – par l’anglais et par le français avec le nuancier sémantique et axiologique qui sépare un idiome de l’autre – et discursives – le spectre mouvant et complexe des énonciations et des usages. Du moins est-ce la condition pour penser et évaluer ce qui circule à ce sujet de réactions, d’idées, de prises de positions, d’oppositions, etc.