Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

jeudi 12 novembre 2020

LE LOGOS ET LE SENSIBLE

      Ce qui est défendu sous l’espèce d’une prise de parole, celle d’une communauté cible de sauvages déprédations séculaires, victime ici du discours ou plutôt des catégories ayant cours dans le discours universitaire – la résistance de certaines appellations trahissant le point de vue blanc-dominant (« nigger » / « nègre ») – procède très exactement d’une critique de la raison universitaire et dénonce sous le terme même d’ignorance (et la nécessité inverse d’éduquer la parole savante) son dehors ou son autre. La raison de la raison universitaire serait ainsi clivante, privative et violente ; elle se révélerait une nouvelle fois incapable d’entendre d’autres rationalités. En l’occurrence, cette méthode caractérise moins les voix étudiantes elles-mêmes que les voix scolastiques, issues de l’intérieur de l’institution, qui se sont élevées en portant secours ou en donnant soutien à cette prise de parole. Cette critique du logos universitaire a des signaux bien reconnaissables. Elle est devenue très conventionnelle. Mais elle répond à une démarche qui a fait ses preuves. Quarante ans de French Theory et de Cultural Studies nous y ont habitués. Elle a évidemment servi d’arme dans les Culture Wars aux États-Unis. Pourtant, à bien y regarder, au logos universitaire, impersonnel voire répressif, sans égard du moins pour les singularités individuelles et communautaires, ce qui est opposé – et l’argument paraît récurrent – est le sensible : au point de vue où se situe le savant, il importe par-delà la controverse lexicale d’accueillir la requête d’exclusion – unique gage de moralité – et de montrer de la compréhension, de l’empathie, de la générosité. La prise de parole s’enracine ainsi dans la langue de la blessure, de l’humiliation, etc. Le leitmotiv fondateur ressortit au champ des traumas, des émotions et des affects. Ce n’est donc plus aux mécanismes de la connaissance mais au régime du sensible que l’on s’adresse. Dans la pétition d’origine, « ignorance » ou « nescience » riment avec « insensitivity » et cette question va être continûment tramée par les supporters de la cause. Ce qui soulève d’autres questions, plus générales, et non moins embarrassantes, quant aux fonctions d’un établissement de savoir. Le logos universitaire peut-il se fonder sur le régime du sensible (et des sensibilités) ? Doit-il viser une communauté du sensible ou une sensibilité commune, seule aptes à transcender les différences culturelles (comme différences essentielles, je l’ai dit), du moins à subsumer la diversité des singularités en forme d’être-ensemble ? Ainsi, ce qui est répondu, sur la base d’accusations ayant trait au « racisme systémique » et à la domination symbolique, à la fois culturelle et intellectuelle de minorités, ce qui est répondu au corps professoral par une partie du corps professoral lui-même est que le sensible peut tenir lieu ici de modèle politique (et corrélativement, de pensée politique de la culture comme de pensée culturelle du politique), de modèle politique pour les disciplines et leurs pratiques du savoir.