Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

lundi 16 novembre 2020

« LANGUAGE DOES MATTER »

 I couldn’t agree more. C’est pour cette raison qu’intéressent les arguments retenus par quatre anthropologues et sociologues, Phyllis L. F. Rippey, Willow Scobie, Karine Vanthuyne et Mireille McLaughlin, à l’occasion d’une lettre adressée au syndicat APUO (Association of Professors of the University of Ottawa), marquant la solidarité envers les collègues et étudiants BIPOC (Black, Indigenous and People of Colour) : https://www.change.org/p/statement-of-solidarity-with-uottawa-bipoc-students-and-colleagues. On soulignera au préalable quelques spécialités et certaines thématiques de recherche des auteures, pour mieux en situer les prédispositions critiques et le propos d’ensemble : sociologie des genres et inégalités entre sexes, éthique du care et de la vulnérabilité, droits de la personne, droits humains et libertés, histoires coloniales et décolonisations, cas des Crees et des Inuits, etc. À l’interne, la communication est centrée sur les divers acteurs du campus et répond notamment à laffaire Lieutenant-Duval comme aux 34 signataires. À l’externe, la lettre d’opinion a été portée entre autres vers les médias francophones. Bien qu’il ait été rédigé dans les deux langues officielles de l’établissement et du pays, et c’est le plus important à souligner, le texte reste écrit et pensé en langue anglaise. Ce qui n’est pas en soi une difficulté. Mais le symptôme en est le traitement même du signifiant qui a déclenché les hostilités. Or s’il est vrai, comme les quatre auteures l’admettent d’elles-mêmes, que « language does matter », la meilleure preuve n’est pas l’agression contenue dans l’insulte, mais le fait de catégoriser la réalité historique et politique de la culture, des rapports entre cultures, sur la base d’une telle unité linguistique, sans la questionner au préalable. Car ce signifiant est aussi le début d’un possible décentrement selon qu’on l’appréhende en anglais ou en français. Il enseigne par conséquent le sens de la relativité – essentiel pour résister à toutes les formes d’ethnocentrisme et de sociocentrisme de la pensée que dénoncent à juste titre les quatre spécialistes. Ainsi : « From our perspective, the "n" word is perhaps the best known and most violent racial slur with great historical specificity. According to historian Dr. Elizabeth Stordeur Pryor, the history of the n-word dates back hundreds of years to the development of slavery. However, the word did not take on widespread usage until the 19th century when enslaved Black peoples of the United States were emancipated from slavery. As she points out, the word was created as a means to disempower and deny the emergent liberation of American Black people. » Rien à redire à ce rapide historique. À ce détail près qu’il commente plutôt « nigger » que « nègre ». Non qu’il n’y ait entre chaque item de multiples zones d’intersection, et concernant l’emploi répandu au XIXe siècle il est impossible de ne pas songer à l’article « nègre » du Grand Dictionnaire Universel de Pierre Larousse, véritable monument de l’anthropologie coloniale française. Mais entre les usages anglophones et les usages francophones, spécialement si on envisage la question à partir des Amériques (des Antilles au Canada), et non en la localisant depuis l’Afrique ou l’Europe – autres points de vue, –  « nigger » et « nègre » n’indexent pas exactement les mêmes axiologies ni les mêmes réalités historiques. Cette différentielle à elle seule se révèle passionnante. Encore convient-il de se donner les conditions minimales – c’est-à-dire un espace de liberté, un jeu préalable de parole et de pensée – pour désigner et nommer, objectiver et élucider, et finalement discuter ce système de différences. Si la langue compte vraiment, les langues (au sens des idiomes) n’en sont que plus déterminantes à leur tour, comme plus largement la conception du langage et de la culture, que révèle l’analyse proposée de ce signifiant, chargé à l’excès d’histoire.