Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

lundi 9 novembre 2020

PRONONCER

      Au demeurant, ce qui fait le plus défaut dans cette controverse est une philologie rigoureuse des termes mêmes qui la fondent – nigger et nègre. Car de quoi parle-t-on exactement ? L’anthropologique (et en conséquence les identités ethniques, culturelles, communautaires) réduit au signe et à l’épistémologie du signe tourne inévitablement le dos au pluriel empirique et mouvant des énonciations. Le signe n’a pourtant de valeur(s) – et l’historicité qu’on lui reconnaît – qu’à la condition de ses emplois. Au lieu de quoi, le prononcer – « une Blanche ne devrait jamais prononcer ce mot, point » – nouvelle variante du nomen numen – est le sacré même : l’essence du négatif. Non seulement utilisé mais articulé par les Blancs, le nom tabou produit souillure et blessure. À ce titre, il constitue bien davantage un point de croyance. Car bien qu’il ait servi tous les registres de la haine, de la violence, du mépris, de l’injure, il a aussi, et inévitablement comme tel, les propriétés et les limites de n’importe quel autre signe – de celles qui font selon l’exemple jadis retenu par Aristote que le mot chien n’aboie ni ne mord. Que les murs de la classe soient ensuite le lieu où se trouvent sans cesse mis en circulation ces mots-valeurs, soumis à un contrôle réciproque de l’enseignant aux étudiant.e.s et vice versa, il va sans dire. Cela suppose toutefois que ces mots soient reconnus pour les discours qui en construisent les valeurs et les contre-valeurs (par exemple, l’art nègre ou la négritude), qu’ils soient reconnus comme discours et non plus comme signes. Cela entraîne enfin que les discours deviennent l’objet non de regards a priori mais d’un travail critique qui est lui-même discours non seulement de connaissance mais d’inconnaissance. Le nègre non plus comme nom d’un savoir à refouler, mais d’un savoir à découvrir – à construire.