Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

lundi 16 novembre 2020

CONTRE-OFFENSIVE

          Dans ce qui se donne pour une contre-offensive musclée, la lettre en appelle d’abord au respect de la diversité des opinions. À ce titre, elle accuse le manque de consultation et de représentativité au sein de sa propre cellule syndicale après qu’elle a validé sans sanction ni vérification le point de vue de « a collective of university professors », l’allusion se précisant plus loin à travers Fanon, Césaire et Senghor aux 34 signataires. Une première antinomie se dessine d’ailleurs à ce stade entre un socle de références de nature à la fois politique et littéraire, et l’expertise des auteures plutôt située du côté des sciences sociales. En date du 25 octobre 2020, une mention spéciale suit : « Merci à toutes et tous pour votre soutien pour notre pétition. Le syndicat (APUO) s’est rétracté de son soutien aveugle pour la liberté académique. » Il faut le lire pour le croire. Chacun jugera, par-delà les affaires internes, de cet aveuglement. Il convient juste de faire valoir qu’à titre éminemment symbolique les quatre noms, issus de la School of Sociological and Anthropological Studies, n’apporte pas uniquement un soutien à la cause des étudiant.e.s, des communautés noires et minoritaires, en plaçant aussitôt les 34 signataires du côté d’un paradigme conservateur et identitaire. S’y inscrit une réelle plus-value scientifique par les disciplines engagées dans la bataille, celles dont le travail de base, est-il besoin de le souligner, consiste à démasquer les ethnocentrismes et les sociocentrismes logés au cœur de chaque collectivité, de ses pratiques et de ses représentations, tout ce qui en forme l’inconscient. Il reste toutefois que l’image s’en trouve aussitôt brouillée par la dimension plus immédiatement activiste, ceci n’interdisant pas cela, bien entendu : « the work nor integrity of those of us who are actively anti-racist, and actively engaged in a diversity of anti-racism initiatives on campus and beyond. » Mais l’argument général tend alors à se dissoudre sinon à se résoudre dans une optique binaire – « antiracist » suppose « racist » ou ce que les auteures nomment plus loin, je reviendrai sur cette singulière expression, « the dialectical nature of racism ». Il ne limite ainsi que davantage les moyens de sa critique et de sa démonstration. À commencer par ce fait qu’une telle représentation binaire empêche de saisir et de rendre compte de la pluralité (interne et externe) des cultures que sociologie et anthropologie se proposent pourtant de prendre en charge. De cette prémisse absolument réductrice découlent des assertions qui ne sont plus guère contrôlées. La première de nature ouvertement accusatrice, « our colleagues’ use of their power and privilege to contribute to structures of systemic racism », qui implique ce sous-entendu couramment répandu que de tels pouvoir et privilège sont le fait de la population majoritaire (blanche). Ou circulairement : que le fait d’être majoritaire ou blanc entraîne par nécessité pouvoir et privilège, de sorte qu’on ne peut plus rien rétorquer à l’argument. En l’occurrence, celui-ci est particulièrement convenu. Voilà un demi-siècle qu’on l’entend. Son efficacité s’émousse toutefois quand on l’observe plus en détail. Il ne suffit pas de dénoncer, il convient pour reprendre les termes mêmes des auteures de donner le contexte, les faits et les preuves. En bref : d’être capable de produire une description et une analyse (même succinctes dans une lettre) de ce pouvoir et de ce privilège. Quant aux « structures » du « racisme systémique », qui supposent non seulement des sujets agis et agissants mais une organisation et une hiérarchie, opérant un maillage de relations, au sein desquelles la domination se conjugue à la violence, elles s’exposent à une objection similaire. Mais la notion est assez abstraite pour être provisoirement crédible (une morphologie à reconstituer, une cohérence d’ensemble à comprendre et à interpréter), elle sert surtout à identifier une cible ; car elle demeure en l’état pré-scientifique. La deuxième déclaration résulte directement de la thèse dialectique déjà repérée, elle en dégage une nécessité, ou si l’on veut une sorte de loi sociale et culturelle dans l’histoire : « there will continue to be those who oppose the use of the word and confront those who insist on the right to use it. If one uses the n-word, given its history, one should be aware that, we, among others, will consider them a racist for using it. » Ce n’est pas tant le caractère simpliste et caricatural de l’énoncé qui embarrasse le lecteur, bien que celui-ci ne peut par contrecoup qu’en mesurer le contenu à la plus-value scientifique dont le regard par les disciplines de l’altérité était initialement – et à la fois – le gage et la promesse en entrant dans la mêlée. C’est plutôt la valeur pédagogique de l’exemple qui est lourde de sens ici. Car en parlant aux côtés des étudiant.e.s qui « spoke out against ignorance and racism in their classroom », les auteures qui prennent leur dualisme méthodologique pour la vérité même du racisme (et corrélativement des rapports entre les cultures) donnent au contraire pleine légitimité aux stratégies les plus polémiques. Au lieu de le diriger à un niveau supplémentaire de complexité, ce qui est normalement l’activité fondamentale de la pensée, les quatre auteures laissent croire à leur public que cette manière-là fait autorité en matière de débat, et constitue un modèle à suivre. Au lieu même des procédures argumentatives, elles proposent des stéréotypes, qui en discréditent inévitablement la démarche.