Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mardi 17 novembre 2020

LÉGALISME

       L’un des tournants significatifs de la lettre publique des quatre auteures est la distinction, pour cette fois rationnelle et absolument motivée, entre la liberté académique et la liberté d’expression, qu’accompagne une définition aussi claire que consensuelle : « The purpose of academic freedom is to ensure that we, as scholars, can be free to pursue topics and subjects that might otherwise be anathema to state, economic, or other influence. » À cette exception près qu’elle ne me semble nullement représenter « the ultimate reward of academia » mais tout au contraire la raison d’être ou très exactement la condition pour qu’opère de manière fonctionnelle le monde académique. Tout en méthode, cette précision liminaire dans l’ordre des concepts n’en a pas moins un rôle spécifique dans l’économie argumentative du texte : elle permet de rapporter les enjeux du débat non à la liberté académique (de nouveau hors-sujet) mais au paradigme de l’expression. Inutile de revenir sur la réduction de l’anthropologique à l’unité signe, au mot, et les conséquences sur la conception des peuples et des cultures. Ni même sur le procédé discursif qui consiste à passer de « nigger » à « n word ». S’appuyant sur l’autorité d’ E. S. Pryor, les quatre auteures ajoutent : « The word was created as a means to disempower and deny the emergent liberation of American Black people. To use the word is to perpetuate the circulation of a word whose only purpose is to dehumanize Black people ». Oui. Mais qui parle ici d’utiliser le mot, de le mettre ou remettre en circulation, d’en perpétuer l’usage et par conséquent ses contagieux méfaits ? Non seulement Rippey, Scobie, Vanthuyne et McLaughin négligent cette autre distinction – pourtant élémentaire (l’une d’entre elles n’est-elle pas sociolinguiste ?) – entre usage et mention mais elles oublient délibérément (d’après les informations dont le public désormais dispose) qu’au moment de citer le mot Dr Lieutenant-Duval – et c’était l’objet premier de sa démonstration – expliquait comment les communautés noires s’étaient réappropriées dans une perspective identitaire l’insulte raciale, prenant de la sorte à rebours l’usage et la rationalité de la majorité blanche qui les aliénait. Dans le paradigme de la « freedom of expression » ou du « free speech », il en découle cette thèse, inséparable de la nature dialectique présumée du racisme : « Regardless of the concern about “cancel culture,” “safe spaces,” or “political correctness” the n-word has not actually been made illegal. Anyone who wants to use the word can feel free to use the word. » Et plus loin : « Just as we cannot legally prevent anyone from using the word, individuals cannot legally prevent us from thinking that they are racist, whether they want to be considered a racist or not. » Cette approche légaliste, qui met au jour des présupposés pragmatistes et contractualistes sur le langage, et le couple legal / illegal dessine une nette cohérence dans la lettre, entraîne une conception non moins légaliste des cultures ou plus rigoureusement des rapports entre cultures. D’un côté, il y a la nature dialectique du racisme qui décrit moins un mouvement hégélien ou un processus marxiste qu’une dynamique des antagonismes – une stricte agonistique des identités (selon le dualisme traditionnel du même et de l’autre) ; de l’autre, des emplois illégaux et légaux qui, idéalement, et tout à l’inverse, pourraient réguler et gouverner ces mêmes antagonismes, c’est-à-dire résoudre à terme la dialectique – les luttes entre « races » dans l’histoire. D’où finalement cette prévention académique, qui mettrait tout le monde d’accord : « One cannot simply grant oneself license to use the n-word without critique, no matter how much one has read Fanon, or wants to pay homage to Senghor or Césaire. » Mais a-t-on vraiment déclaré le contraire ?