Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

lundi 13 mars 2023

PRONOMS

    Un point que j’ai encore peu développé, et qui est partie intégrante du texte culturel contemporain, ce sont les pronoms de signature au bas des courriers ou des courriels, variablement officiels comme autres composantes de la communication dite inclusive, cette utopie de la société néolibérale. Au-delà des comportements pavloviens, qui font ce qu’on appelle la mode, jusque chez des individus côtoyés de longue date (réseaux professionnels, collègues, amis, membres de la famille), dont on connaissait sans qu’il soit besoin de le déclarer et l’orientation sexuelle et le genre (et voir de vénérables quinquagénaires ainsi se commettre a quelque chose de profondément risible et pathétique), il y a là un symptôme de l’entre-soi démocratique et de la manière dont la société se représente à elle-même. Et la question passe de manière exemplaire par les marqueurs individuants du sujet dans la langue. How do you self-identity? How can an employee disclose their diversity identity to their employer? She/her. Elle/Il/Iel. Un des lieux incontournables de la diversity ou de l’inclusion voire de l’inclusiveness at workplace. Et cela a pu initialement s’énoncer en soutien de la majorité auprès des minorités sexuelles, trans notamment, avec les stratégies de plus-value symbolique corrélées (être inclusif, c’est très vertueux – la « fausse monnaie » de Baudelaire : la bonne action et l’action de moindre coût : « tu iras au ciel de la Justice Sociale, mon ami, va donc en paix »). Sans surprise le phénomène a été exponentiel dans le milieu de l’entreprise. La signature des sujets s’y décline d’abord sur un mode managérial, et de manière remarquable sous l’espèce sujet (she) et objet (her) ou pronom vs déterminant ; en anglais et en français. Etc. Comme j’ai un esprit de potache, avec la pointe de malice acide qu’il faut, j’ai souvent rêvé moi-même de signer : « AB (on – du lat. homo) ». Un indéfini, ça devrait mettre tout le monde d’accord, n’est-ce pas ? Qui suis-je, sinon un pronom caméléon ? Dans ces stratégies auto-identifiantes, et leur côté panurgique, le multiple de l’identité des sujets est résorbé dans l’expression d’une catégorie linguistique (en vertu d’une confusion couramment répandue et entretenue autour du « genre » par l’idéologie inclusiviste entre catégorie sociale et catégorie morphosyntaxique). Et surtout, il est symptomatique que la mention relevant de la diversity identity apparaisse après le nom de civilité et entre parenthèses. En raison de la double propriété syntaxique et énonciative de ce signe ponctuant (segmentation et focalisation), il est impossible de ne pas le voir. On ne voit même que cela. Le pronom fait signe vers le lecteur. C’est typiquement le signe ostentatoire dont parle Isabelle Barbéris dans Panique identitaire. Enfin, il est apposé à côté du prénom et du nom. Pourtant, le seul pronom de la self-identification, à bien y réfléchir, ne peut être que « je » - qui est bien souvent un Not I beckettien – troué et dépeuplé, capable de créer sa propre référence. Mais l’énoncé de signature porte le sujet au rang de non-personne. Au fond, she ou iel, c’est bien plus proche de « moi », appelé par Benveniste désignation autique du locuteur, que de « je ».