Il est probable que le débat sur le lieu et la matière, d’un art qui procède par des places, des formes et des matériaux impropres (voire malpropres), n’entre ici que partiellement dans le propos de Michel de Certeau. Ce n’est pas l’art mais les arts de faire qui intéressent sa théorie de la culture. Mais il semble en valider le raisonnement puisque celui-ci remet au premier plan l’hétérogénéité comme le principe qui régit les rapports entre les manières et les cultures. Du reste, si l’art au vu de ces réemplois peut être constitué d’autant de différences créatrices de singularités (faire art de tout), et consacre peut-être moins l’existence d’un modèle pour les arts de faire que celle d’une continuité entre eux, il n’est pas donné par avance que toutes ces différences soient artistiques (tout n’est pas art). Suivant en cela la terminologie rigoureuse de l’auteur, elles relèveraient plutôt d’une esthétique. À cette nuance s’agrège donc un deuxième problème, presque diamétralement opposé au premier. De ce point de vue, les habitants ne font pas œuvre en effet, ils font pratique (lui substituant l’opus de l’operatio selon le paradigme déjà rencontré « opération », « opératoire », « opérativité »). Même s’il n’est pas exclu a priori que des pratiques s’exhaussent également au rang d’œuvres : et c’est toute la question. Mais les poétiques (sociales) comme les manières (corporelles) s’articulent en dernière instance à une esthétique de la culture dont l’effet immédiat est de diluer le concept d’art, comme il en va pour l’emploi accueillant et généreux de « création » (et de « créativité ») ou même d’« invention » (et d’« inventivité »), plus complexe, plus élaborée (notamment à cause de l’héritage rhétorique de l’inventio). Des « merveilles » dont le quotidien est « parsemé », aussi étonnantes et valables que celles produites par « des écrivains ou des artistes » (La culture au pluriel, p. 216), il est possible de dégager une théorie de l’altérité, en révisant nos schèmes d’intelligibilité jusqu’aux préjugés de la science. Il est non moins difficile d’oublier qu’au cours du XXe siècle le quotidien est devenu une catégorie à part entière de l’art, que des écrivains et des peintres, selon des modalités variables, l’ont investi du surréalisme à Guillevic, Ponge ou Pérec par exemple en lieu visibleet audible. Michel de Certeau ne l’ignore pas évidemment qui donne aux formes narratives et au roman spécialement une « valeur théorique » en ce qu’ils concentrent la mise en intrigue et l’étude des « pratiques quotidiennes » (L’invention du quotidien, t. I, p. 120). En l’occurrence, cette capacité repose sur (de) l’énoncé, énoncés de fiction et/ou de représentation. Par contre, plus complexe est l’assimilation esthétique des manières dont le Rodézien tient son bistrot ou le natif de Malakoff marche dans le métro. Une telle proposition en rapprocherait la théorie de l’esthétique pragmatiste (voir Richard Shusterman et Pragmatist Aesthetics : Living Beauty, Rethinking Art, 1992) ou de certaines versions des Cultural Studies. L’inférence problématique qui peut en être dégagée est que tout n’est pas art mais par les arts de faire tout devient culture.