Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 18 août 2018

LE MOTEUR DE L'ORAL

Une dernière composante nécessaire pour considérer le pluriel commun de la langue par les manières, le commun pluriel des manières par la langue est l’oralité, domestiquée et gouvernée par la culture de l’écrit. Cette hégémonie, Michel de Certeau en situe les trois temps majeurs :
1. La conquista scripturaire sur le Nouveau Monde, par laquelle l’Européen « va écrire le corps de l’autre et y tracer sa propre histoire » (L’écriture de l’histoire, p. 3), disposant du même geste dans la parole et dans la voix des sociétés durablement qualifiées de sociétés « sans écriture » et sociétés « sans histoire ».
2. L’essor des « appareils scripturaires » (L’invention du quotidien, t. I, p. 196), inséparable de l’imprimerie, qui assure l’emploi reproductible et capitalisable de l’écrit aux mains de l’administration, du roi, etc., et en isole le peuple.
3. L’industrie médiatique (disque, radio, télévision) qui grave à l’inverse la voix pour produire « la copie de son artefact » (p. 196), la sacralisant et la normalisant à la fois.
Mais Michel de Certeau part de cette observation que de même qu’il n’existe pas de voix pure, il n’y a pas d’écrit pur dans nos sociétés. L’auteur considère donc entre les termes des mécanismes d’échange et de coexistence, la manière en particulier dont l’oralité fait retour et se fait entendre « à côté » (p. 230) de l'écrit, répliquant au « travail de l’écriture pour maîtriser la “voix” qu’elle ne peut être et sans laquelle pourtant elle ne peut être » (p. 232).
Il convient donc de reconnaître le rôle non moins « légitime et moteur de l’oral dans la constitution du corps social », y compris dans « une société de l’écriture ou de l’informatique » (La prise de parole, p. 179). L’attention se porte sur la matérialité des « paroles échangées » et de leur « interprétation contextuelle », ou si l’on veut : l’oral donne désormais « priorité à l’illocutoire » (p. 178) dans l’émergence du commun : la version la plus pragmatisée de l’énonciation. C’est elle qui soutient la tension de l’un et du commun ; c’est elle qui la met aussi en difficulté.