Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 22 août 2018

LA PAROLE, CE FAIT ÉTRANGE

Dans la déclinaison du pragmatique, qui assure le couplage avec la rhétorique (laquelle constitue chez Michel de Certeau le socle principal en fait de théorie du discours), l’illocutoire n’est qu’une version de l’opératoire dans l’ordre des « conduites langagières » (La prise de parole, p. 178). Mais il laisse penser par « l’acte de parole » et sa « situation particulière d’échange ou de “contrat” » (L’invention du quotidien, t. I, p. 36) un système d’opérations appelé parole. La première remarque qui en découle est qu’acte de parole décale d’emblée la catégorie searlienne d’acte de langageSpeech Acts date de 1969 et sa traduction française de 1972 – avec l’expression qu’elle a durablement imposée. La deuxième remarque porte sur la critique de la « coupure que Saussure établit entre “langue” et “parole” » (L’invention du quotidien, t. I, p. 231) et son double corrélat : essentiel / accidentel, social / individuel. Michel de Certeau perçoit assurément dans la « linguistique de la parole » un espace de créativité mais rattache ce programme à une « autre tradition idéologique » (p. 232) qu’il ne spécifie pas. Il reçoit le Cours de linguistique générale dans sa version la plus structuralisée, mais il en questionne la dualité. Ainsi, sa conception de la parole, révélée par l’épistémologie linguistique, lui est en même temps irréductible : elle ne se limite pas aux productions verbales. Elle renvoie à un fait social. Elle ne s’oppose pas à la langue, elle donne plutôt cohérence et finalité à une pragmatique des manières. La parole est le lieu virtuel du singulier. En contrepartie, elle s’oppose explicitement à ce que Michel de Certeau nomme les langages bien distincts du langage : les langages sociaux ou les langages de la société. C’est ce « fait étrange » de la parole, aussi étrange que fondamental, que l’auteur repère à la suite de mai 68 pour s’en faire une hypothèse plus large : ce qui engage « la structuration entière de notre culture » (La prise de parole, p. 33).