Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 11 août 2018

LA PERTE DE SAVOIR

Ce point s’éclaire plus encore à la lecture de Freud. En premier lieu, par la « continuité entre sa manière d’écouter un(e) malade, sa manière d’interpréter un document (littéraire ou non) et sa manière d’écrire » (Histoire et psychanalyse, p. 114) ; en second lieu, à cause du rôle qu’y exerce la littérature, non pas tant dans la genèse des concepts – de la tragédie grecque à Shakespeare – que dans l’élaboration d’une « autre logique que celle qui prévaut dans la “scientificité” reçue », au point que les œuvres apparaissent comme « une mine » de « tactiques » et de « déformations » au sein d’un « système social et/ou linguistique » (ibid., p. 117). Double condition qui permet finalement de comparer la « théorie de l’écriture » chez Freud à sa « pratique scripturaire » et d’y saisir, en deçà ou au-delà d’une « manière d’écrire », « sa manière » (ibid., p. 128). C'est là que s'opère le glissement fécond. En l’occurrence, chaque fois qu’elle « fait ce qu’elle dit » (ibid., p. 129), cette écriture met à découvert la position de l’analyste. Elle le rappelle à ce qu’il est vraiment, un « sujet supposé savoir » (ibid., p. 126), qui ne détient ni maîtrise ni autorité. Mais elle renvoie par la même occasion la théorie « au “rien” du savoir » comme à « la réciprocité démystificatrice d’une relation de l’autre à l’autre » (id). Ainsi, le savoir est d’abord déposé chez le patient, mais s’exprime à son insu ; à l’inverse, la théorie ne s’exerce que sur la base d’« une perte de savoir » (ibid., p. 129). Et Michel de Certeau sélectionne ce « moment décisif » du Der Mann Moses par lequel s’illustre le « rien » (ibid., p. 128) : un poème de Schiller, sorte de brève sentence qui atteste la mort du vivant, et rend cette mort nécessaire à la naissance du texte lui-même. Au lieu d’une argumentation théorique, le poème qui s’impose par « la force de sa forme » et « l’évidence de son non-savoir » (ibid., p. 129) serait chez Freud ce qui tient lieu précisément de savoir. Il prendrait la place du psychanalyste, devenant de la sorte « le répondant de l’inconscient » (ibid., p. 130) – ce qui le parle en le faisant parler.