Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 18 août 2018

POINT DE JONCTION, POINT D'ORIGINE

À cette explication s’ajoutent à mon avis deux raisons primordiales, de nature épistémologique et méthodologique. La première a trait au locuteur que Michel de Certeau pose d’emblée comme l’homme ordinaire. Il y perçoit plus encore « le point de jonction entre le savant et le commun », c’est-à-dire « le retour de l’autre (tous et personne) dans la place qui s’en était soigneusement distinguée » (L’invention du quotidien, t. I, p. 17). Sans doute la perspective tend-elle à aggraver le clivage entre l’ordinaire et le littéraire ; mais elle montre que c’est depuis la langue que peut en priorité s’observer le continu entre les théories et les pratiques, au moins l’ordre et les modalités par lesquelles elles communiquent. La deuxième raison qui en découle est que les manières de faire englobent certes les manières de parler mais y trouvent simultanément leur point d’origine méthodologique, de sorte qu’il devient possible de mentionner le « parler des pas perdus » (p. 147) ou un « art de tourner des parcours » (p. 148). Les manières se métaphorisent au sein d’une « sémiotique générale des tactiques » (p. 64). Michel de Certeau reconnaît et méconnaît par ce biais le rôle d’interprétant de la langue pour la société et la culture. Or un des motifs invoqués pour rendre compte des « manières de dire » est que dans le répertoire des pratiques ordinaires aux « formalités différentes », elles constituent le domaine « le moins inconnu pour l’heure » (La prise de parole, p. 180). Il est non moins évident toutefois qu’à travers elles peut s’amorcer la révision de nos « instruments d’analyse » et de « modélisation » (id.) : logique, ethnography of speaking, linguistique, pragmatique, rhétorique. Mais l’explication la plus probable est révélée par un détail terminologique : entre les « manières de parler » (L’invention du quotidien, t. I, p. 64), dont la polyphonie peut éventuellement se résoudre sous l’angle des idiolectes et sociolectes, et les manières de dire, la langue est désormais saisie dans sa réalisation la plus singularisée. Elle n’est plus considérée à l’état de système mais dans l’actualité concrète de l’énonciation. La théorie du faire qui est un « faire avec » ne se pense pas sans ses coordonnées déictiques : « ici et maintenant » (La prise de parole, p. 181).