Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 18 août 2018

LIEUX ET PLACES : TOPOLOGIE DE LA CULTURE

Je renoue avec le savoir inconscient ou le savoir insu à l’œuvre dans les manières. Car il est la source d’une créativité susceptible de déplacer les « lieux » de la culture, c’est-à-dire démobiliser/remobiliser entre failles et réemplois ses « places déterminées et différenciées », et ces places sont organisées par « le système économique, la hiérarchisation sociale, les syntaxes du langage, les traditions coutumières et mentales, les structures psychologiques » (La culture au pluriel, p. 220). Ce dé-placement permet à rebours d’en mesurer l’innovation.
Il me semble que pour bien comprendre, l’exposé le plus significatif est celui qui est donné à propos de l’art urbain : Michel de Certeau évoque dans L’invention du quotidien, t. II, p. 199-200 le « droit » à une « esthétique » des « habitants-artistes », spécialement des quartiers défavorisés : à revers des politiques culturelles de réhabilitation et de conservation qu’il observe, ancrées dans une logique du patrimoine, il promeut autant d’auteurs inconnus et méconnus qui réinvestissent la ville non de sa mémoire et du passé mais de situations et d’actions nouvelles – en restituant les quartiers, les rues et les immeubles à l’actualité d’un vivre ensemble. Sans doute l’enjeu concerne-t-il d’abord, par-delà les pratiques populaires (aux contours mal définis, voir ce sujet le chapitre « La beauté du mort »), une « démocratisation de l’expression artistique » ; mais cette esthétique est justifiée au nom de l’art lui-même, c’est-à-dire de « l’art contemporain patenté » (ibid., p. 201) qui reconnaît « en fait » (ibid., p. 200) les arts de faire comme l’une de ses sources.
À ce qui voudrait servir de preuve (mais a l’allure d’une pétition de principe, il me semble) s’ajoutent deux arguments d’autorité :
a) l’un qui considère l’histoire des modernités, puisant leur inspiration depuis Gauguin et Picasso par exemple dans « les créations africaines ou tahitiennes » (ibid., p. 201) ; 
b) l’autre qui sollicite l’histoire des contre-regards avec le musée paysan d’Albert Demard à Champlitte ou le musée d’art brut de Michel Thévoz à Lausanne ; 
c) la conclusion s’impose contre un urbanisme « encore en quête de son esthétique » d’assigner « la même valeur » (id.) à ces manières « dont un Rodézien tient son bistrot, dont le natif de Malakoff marche dans le métro, dont la fille du XVIporte son jean ou dont le passant marque d’un graffiti sa façon de lire l’affiche » (ibid., p. 202). Cet exposé est en même temps le point le plus réactif de la théorie de la culture.