Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 11 août 2018

L'ÉVIDENCE

Il lui est plus aisé de décrire « l’inventivité philosophique » (Histoire et psychanalyse, p. 144) de Foucault, d’approcher « sa manière de découvrir » (ibid., p. 140), en rendant compte de sa « signature » (ibid., p. 139) comme « style optique » (ibid., p. 142) par l’emploi de « tableaux » descriptifs (ou narratifs), analytiques et figuratifs (gravures et photographies) : une clarté mêlée d’érudition qui est la « ruse » (ibid., p. 185) propre de cette œuvre. Et l’invention qui résonne par son passé comme notion rhétorique est de celles que Michel de Certeau place au premier plan de la culture quotidienne. L’essentiel est de voir qui si elle s’apparente à son tour à un « geste littéraire » elle est créatrice « d’une évidence qui renverse nos plus évidentes convictions » (ibid., p. 184). Sans doute lui donne-t-elle un pouvoir d’agir dont, entre séduction et persuasion, la vérité est l’enjeu. Mais la vérité a dans ce cas l’historicité d’un discours immédiatement questionnable. C’est pourquoi l’évidence se reformule mieux en « effet d’auto-évidence sur le public » (ibid., p. 185). Dans tous les cas, elle devient un lieu de partage, un opérateur de transsubjectivité, disponible pour d’éventuelles réappropriations / réemplois : manières de lire, de comprendre, de pratiquer, etc. L’évidence est le nom de la manière chez Foucault, plus encore que les exemples (des Ménines au Panopticon) ou les figures de style optique – très dans l’époque au demeurant : « suspense, citations extraordinaires, ellipses de séries quantitatives, échantillons métonymiques, etc. » (ibid., p. 184). L’évidence est l’envers du je ne sais quoi de la théorie. Elle ne préexiste pas au logos au sens où, secrètement tapie dans les choses et les usages, elle apparaîtrait par la science qui n’aurait plus qu’à montrer en démontrant. L’évidence est contemporaine de son énonciation : « Foucault travaille au bord de la falaise, essayant d’inventer un discours pour traiter de pratiques non discursives » (ibid., p. 182). La valeur logique de l’évidence se mesure à la valeur éthique du discours – aux risques que prend ou ne prend pas la théorie. Ce discours n’est donc pas le truchement des pratiques, il les rend connaissables à mesure qu’il les rend visibles. Mais il ne les rend visibles qu’à la condition de les faire reconnaître. Non pas à la manière dont elles sont vues ou connues mais à la manière dont il y a lieu de les voir et de les connaître. L’expression de cette nécessité consiste à envisager du possible, et réside en effet toute entière dans ce geste, « rieur et philosophique » pour Foucault, « d’inventer des façons de “penser autrement” » (ibid., p. 151) et de dire autrement. Ainsi la connaissance que produit la théorie (et les connaissances qui en résultent comme ensemble cohérent d’unités empiriques, accumulables, variables sinon périssables) est à proportion de l’inconnaissance dont elle procède. L’inconnaissance, et non pas l’inconnu aux limites mouvantes qui bornent n’importe quel savoir.