Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

jeudi 22 avril 2021

RAPPORT

      Le temps qu’il parvienne jusqu’ici en Amérique du Nord : le rapport de Michel WieviorkaRacisme, antisémitisme, antiracisme. Apologie pour la recherche, La Boîte à Pandore, 2021, dont je n’ai que l’écho sur France Inter. La question du débat agité par la ministre Frédérique Vidal autour de l’islamo-gauchisme est déroutée au profit de controverses dont se dégagent (d’après l’article) deux autres paradigmes. Élément à commenter en premier lieu sur cette source : ce que le comparatisme peut truquer. Si nombre de pays et de systèmes universitaires rencontrent des pratiques similaires autour de la « cancel culture », les situations ne sont évidemment pas assimilables. Le wokisme qui n’est pas la source unique des problèmes est quant à lui une réalité mesurable. L’autre élément à faire valoir, c’est la polarisation : entre « postcoloniaux » et « républicanistes ». Le diagnostic en terre française est probablement plus adéquat sinon plus juste à en croire ce que de loin il m’est donné de lire. Mais il procède par des modes de catégorisation qui fort souvent me fâchent avec l’histoire des idées : ces notions subsument des traits et tendent peu ou prou à les réduire sinon les simplifier. Du côté des « postcoloniaux », il est fait mention d’une « nébuleuse postcoloniale, identitaire ou intersectionnaliste ». Le terme le plus rigoureux est encore « nébuleuse » en ce sens que le postcolonialisme n’est effectivement pas une doctrine consistante, et se trouve pris dans les branchements et les rhizomatiques complexes des sciences anglophones de la culture. Mais pour les autres, « intersectionnaliste », c’est Kimberlé Crenshaw et les Critical Race Theories. « Racialiste » y prend également cadre. « Identitaire » est encore autre chose. Inséparable de l’identity politics et surtout de son évolution segmentaire et essentialiste des vingt dernières années. Il semble que dans l’importation des épistémologies nord-américaines il y ait un triple socle, la Theory qui est massive, la politique d’identité et plus récent le courant woke – qui est une variante doctrinale et politique, même s’il est inséparable du modèle de l’activist scholarship qui est devenu une dominante (pour le meilleur comme pour le pire). Enfin, je conserve un malaise profond à englober des phénomènes savants et idéologiques sous le terme « postcoloniaux ». Il y a une sérieuse différence entre Saïd et Bhabha par exemple et certains usages contemporains du postcolonialisme. Enfin même si les appellations ne sont pas stables et considérant leur porosité – cela m’avait saisi dans l’essai de Taguieff – je serais tenté de conserver une enseigne très scholar à « postcoloniaux » et à réserver « décolonialiste » à des emplois plus polémiques, pour cibler les applications politiques du postcolonialisme, quelque chose qui n’est plus en phase avec les discours et les savoirs. Ou dans une activité idéologique – la croyance acritique comme pour decolonizing the light. Du côté « républicaniste », s’entend la critique de l’universalisme par contre coup ; mais le nuancier s’impose aussi, ne serait-ce qu’entre les identités discursives. Les écart sont sensibles entre des ministres, Vidal ou Blanquer et des idéologues tels que Finkielkraut et son « identité malheureuse » ou la journaliste Caroline Fourest (à tendance plus socio-démocrate par exemple). Ce n’est pas une as du factuel, assurément. Il y a des erreurs grossières également : classer à droite Charles Taylor, candidat (malheureux) à plusieurs reprises du NPD aux élections fédérales, et tenant de la gauche multiculturaliste canadienne… Mais sa narration critique de l’appropriation culturelle est loin d’être inintéressante. Tout ceci donc à contrôler par la lecture.