La critique porte en elle une
fonction heuristique ou alors elle n’est pas. C’est pour cette raison qu’elle
se distingue aux yeux de Meschonnic de la polémique. Sans doute la frontière
entre ces deux attitudes (critique vs polémique), qui supposent deux éthiques du discours inconciliables,
n’est-elle ni claire ni hermétique. Elle l’est d’autant moins dans le cycle Pour la poétique où le mot de polémique est abondamment employé et
assumé, avant que Critique du rythme ne vienne en nuancer rationnellement l’usage. En outre, bien qu’il associe
volontiers la polémique à la stratégie de ses adversaires, se réservant le
champ de la critique, Meschonnic a régulièrement oscillé de l’une à l’autre.
Cette opposition lui a sans doute permis de verrouiller en partie la lecture de
ses propres textes. Mais que la critique se règle ad hominem, ou glisse de façon ponctuelle
ou répétée vers la polémique jusqu’à se contrefaire au point de devenir
elle-même un procédé, c’est sans doute là un risque permanent, l’une de ses
virtualités caractéristiques qui reflète aussi sa force d’engagement.
Finalement, ce doublon a suscité
plus de controverses fausses et stériles qu’il n’a servi l’œuvre si l’on en
croit le silence qui l’a entourée ou les fins de non-recevoir qui lui ont été
opposées au nom de ses excès justement. Or l’importance presque symptomatique
qu’il revêt tient à ce qu’il révèle de l’épistémologie de la théorie comme
écriture. Critique et polémique coexistent chez Meschonnic avec des traits
comiques ou ironiques, et s’orientent à certains moments vers le pamphlet,
genre dont Célébration de la poésie réaliserait le prototype. Ne serait-il pas possible, en ce sens, de
considérer l’œuvre non au simple rang argumentatif mais dans une optique
narrative, sous l’espèce d’un nouveau roman comique ? Les textes pourraient en quelque sorte se lire comme le récit des
pensées du langage, passant en revue leurs mythologies et leurs stéréotypes
persistants, usant pour ce faire aussi bien de l’humour complice que du
burlesque ou du parodique.
Le site de la parole, lui-même
conçu comme un poste d’observation des différents courants théoriques en vigueur devant le langage et la
littérature, appelle une autre comparaison : « La critique du rythme
est dans la position du Persan de Montesquieu. Si cette position l’isole, elle
fait sa liberté, ses bonheurs[1] ».
Sorte de fiction satirique, la théorie emprunterait le regard de l’étranger et
passerait au crible les modes de pensée, les valeurs, les mœurs d’une culture.
À cette différence près que l’Orient de Meschonnic n’est plus l’Orient de
Montesquieu. Il n’a plus rien de commun avec la géographie imaginaire des
Lumières. Il se désigne plutôt comme l’Orient du Juif, ce signifiant biblique que
l’auteur découvre dans Les cinq rouleaux en 1970, signifiant histoire,
signifiant multiple, signifiant métèque, occulté comme le poème et le rythme
par le dualisme du « signe » dans l’ordre « grec-chrétien[2] ».
Cet Orient est l’utopie même de la pensée, ce vers quoi elle tend indéfiniment.