Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 16 septembre 2017

THÉORIE ET FICTION : LE REGARD DU PERSAN

La critique porte en elle une fonction heuristique ou alors elle n’est pas. C’est pour cette raison qu’elle se distingue aux yeux de Meschonnic de la polémique. Sans doute la frontière entre ces deux attitudes (critique vs polémique), qui supposent deux éthiques du discours inconciliables, n’est-elle ni claire ni hermétique. Elle l’est d’autant moins dans le cycle Pour la poétique où le mot de polémique est abondamment employé et assumé, avant que Critique du rythme ne vienne en nuancer rationnellement l’usage. En outre, bien qu’il associe volontiers la polémique à la stratégie de ses adversaires, se réservant le champ de la critique, Meschonnic a régulièrement oscillé de l’une à l’autre. Cette opposition lui a sans doute permis de verrouiller en partie la lecture de ses propres textes. Mais que la critique se règle ad hominem, ou glisse de façon ponctuelle ou répétée vers la polémique jusqu’à se contrefaire au point de devenir elle-même un procédé, c’est sans doute là un risque permanent, l’une de ses virtualités caractéristiques qui reflète aussi sa force d’engagement.
Finalement, ce doublon a suscité plus de controverses fausses et stériles qu’il n’a servi l’œuvre si l’on en croit le silence qui l’a entourée ou les fins de non-recevoir qui lui ont été opposées au nom de ses excès justement. Or l’importance presque symptomatique qu’il revêt tient à ce qu’il révèle de l’épistémologie de la théorie comme écriture. Critique et polémique coexistent chez Meschonnic avec des traits comiques ou ironiques, et s’orientent à certains moments vers le pamphlet, genre dont Célébration de la poésie réaliserait le prototype. Ne serait-il pas possible, en ce sens, de considérer l’œuvre non au simple rang argumentatif mais dans une optique narrative, sous l’espèce d’un nouveau roman comique ? Les textes pourraient en quelque sorte se lire comme le récit des pensées du langage, passant en revue leurs mythologies et leurs stéréotypes persistants, usant pour ce faire aussi bien de l’humour complice que du burlesque ou du parodique.
Le site de la parole, lui-même conçu comme un poste d’observation des différents courants théoriques en vigueur devant le langage et la littérature, appelle une autre comparaison : « La critique du rythme est dans la position du Persan de Montesquieu. Si cette position l’isole, elle fait sa liberté, ses bonheurs[1] ». Sorte de fiction satirique, la théorie emprunterait le regard de l’étranger et passerait au crible les modes de pensée, les valeurs, les mœurs d’une culture. À cette différence près que l’Orient de Meschonnic n’est plus l’Orient de Montesquieu. Il n’a plus rien de commun avec la géographie imaginaire des Lumières. Il se désigne plutôt comme l’Orient du Juif, ce signifiant biblique que l’auteur découvre dans Les cinq rouleaux en 1970, signifiant histoire, signifiant multiple, signifiant métèque, occulté comme le poème et le rythme par le dualisme du « signe » dans l’ordre « grec-chrétien[2] ». Cet Orient est l’utopie même de la pensée, ce vers quoi elle tend indéfiniment.



[1] Le Langage Heidegger, Paris, Presses universitaires de France, 1990, p. 7.
[2] Jona et le signifiant errant, Paris, Gallimard, 1981, p. 88.