Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 20 septembre 2017

DEUX ORALITÉS

Réflexion corrélée. Ou élucidation en marge. Le désavoir, une autre forme de désavoir (I mean), c’est également ce que produit très intensément, et d’abord matériellement, la lecture du Kerouac français (plutôt que du français de Kerouac) – le « corpus-Cloutier » (nommons-le ainsi). Bien sûr, il y a des degrés de difficultés, et leurs effets sur le « lectorat » : textes moins incluants pour une majorité de francophones, davantage tenus en lisière, que pour des québécophones, dont la familiarité avec le joual favorise l’accessibilité à ce dialecte Canuck du Massachussetts. Il reste que le désavoir ne se localise pas exclusivement dans cette dimension pratique. À parcourir, réentendre, prononcer, déchiffrer, revenir, persister, ce qui se démarque en premier lieu c’est l’extrême variabilité et instabilité des formes transcrites de cette « langue » orale, très nettes dans le cas des unités vocaliques, frappantes pour la morphologie verbale (les désinences des temps du passé), au point même que certains mots identiques se trouvent graphiés différemment de page en page. Cette impression d’« incohérence » ou de « chaos » n’empêche pas des régularités linguistiques notables. Mais elle est révélatrice d’autre chose : que l’entrée – ici le travail d’écoute – dans le texte est résolument inadéquate. Ce serait poursuivre une lecture par le signe, selon les catégories de la langue – ce qu’il y a à reconnaître au lieu de comprendre – régime du sémantique – pour reprendre la distinction de Benveniste (« Sémiologie de la langue »). Or s’il est vrai que le plan de la « transcription » – notion qui n’est guère satisfaisante sinon inopérante ici – et le plan de la création sont intimement intriqués, l’enjeu n’est pas relatif à la phonè de ce French Patois, c’est l’écriture qui donne cohérence, ordonne un autre système avec ses valeurs propres. Si l’on préfère, cette oralité Kerouac l’invente à la mesure de l’écriture. Ce que font valoir les latitudes et les incertitudes des formes parlées, c’est qu’une telle oralité advient à mesure que l’écriture l’invente (au lieu de la transposer). Kerouac invente cette langue. De ce point de vue, une expression telle que la « langue de Kerouac » – expression convenue dans le métalangage critique – qui mêle la référence aux composantes de l’idiome et la référence au geste idiosyncrasique – le singulier de la parole – ne ferait que perpétuer l’ambiguïté et la confusion entre l’oralité linguistique du texte et l’oralité artistique du texte. Il est d’autant plus capital de les distinguer qu’elles ne cessent d’interagir, se conditionnent, que l’une ne va pas sans l’autre, et réciproquement ; capital en conséquence de voir comment on passe d’une oralité linguistique à une oralité artistique.