Réflexion corrélée.
Ou élucidation en marge. Le désavoir, une autre forme de désavoir (I mean), c’est également ce
que produit très intensément, et d’abord matériellement, la lecture du Kerouac
français (plutôt que du français de Kerouac) – le « corpus-Cloutier »
(nommons-le ainsi). Bien sûr, il y a des degrés de difficultés, et leurs effets
sur le « lectorat » : textes moins incluants pour une majorité
de francophones, davantage tenus en lisière, que pour des québécophones, dont
la familiarité avec le joual favorise l’accessibilité à ce dialecte Canuck du
Massachussetts. Il reste que le désavoir ne se localise pas exclusivement dans
cette dimension pratique. À parcourir, réentendre, prononcer, déchiffrer, revenir,
persister, ce qui se démarque en premier lieu c’est l’extrême variabilité et
instabilité des formes transcrites de cette « langue » orale, très
nettes dans le cas des unités vocaliques, frappantes pour la morphologie
verbale (les désinences des temps du passé), au point même que certains mots
identiques se trouvent graphiés différemment de page en page. Cette impression
d’« incohérence » ou de « chaos » n’empêche pas des
régularités linguistiques notables. Mais elle est révélatrice d’autre
chose : que l’entrée – ici le travail d’écoute – dans le texte est
résolument inadéquate. Ce serait poursuivre une lecture par le signe, selon les
catégories de la langue – ce qu’il y a à reconnaître au lieu de comprendre – régime du sémantique – pour
reprendre la distinction de Benveniste (« Sémiologie de la langue »).
Or s’il est vrai que le plan de la « transcription » – notion qui
n’est guère satisfaisante sinon inopérante ici – et le plan de la création sont intimement
intriqués, l’enjeu n’est pas relatif à la phonè de ce French Patois, c’est l’écriture qui donne cohérence, ordonne un autre système avec
ses valeurs propres. Si l’on préfère, cette oralité Kerouac l’invente à la
mesure de l’écriture. Ce que font valoir les latitudes et les incertitudes des
formes parlées, c’est qu’une telle oralité advient à mesure que l’écriture l’invente
(au lieu de la transposer). Kerouac invente
cette langue. De ce point de vue,
une expression telle que la « langue de Kerouac » – expression
convenue dans le métalangage critique – qui mêle la référence aux composantes
de l’idiome et la référence au geste idiosyncrasique – le singulier de la
parole – ne ferait que perpétuer l’ambiguïté et la confusion entre l’oralité linguistique du texte et l’oralité artistique du texte. Il est d’autant plus capital de
les distinguer qu’elles ne cessent d’interagir, se conditionnent, que l’une ne
va pas sans l’autre, et réciproquement ; capital en conséquence de voir comment
on passe d’une oralité linguistique à une oralité artistique.