Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 20 septembre 2017

ÉCRIRE COMME UN COCHON


Cet autre leitmotiv qui voisine avec la question du désavoir pour voir, la tension à titre de « mythe » personnel, et même d’« obscur […] idéal » chez Dubuffet, « parvenir à écrire comme un cochon » (15 mai 73, p. 13). Écho facétieux d’abord à la culture scolaire, qui se saisit du double aspect graphique et artistique du concept d’écrire. L’image des buvards sales, des macules grossières sur les cahiers d’écolier, les réprimandes de l’institutrice, les biffures en rouge ou les commentaires irrités en marge, etc. Comme ces gauchers qu'on corrige. S’y enracine le paradigme de la souillure – et de fait un cochon n’écrit pas, il n’est pas équipé pour cela – de la dégradation, bauge, boue et cacas qui débordent un geste de nature strictement intentionnelle, même si écrire-comme-un-cochon a une portée provocatrice à l’endroit du public, et trahit d’autant des idéologies normatives. C’est à l’unisson que le thème est déplié de lettre en lettre. Dubuffet se situant « à l’extrême opposé du bel écrire » 14 octobre 82, p. 49), et dénonçant la persistance d’un mode classique de penser la langue, ses expérimentations phonétiques jouant « des fautes d’orthographe considérées comme un des beaux-arts » (25 octobre 82, p. 53), héritage très XIXcette fois ; Claude Simon se regardant à l’œuvre : « Je me sens parfois si maladroit et démuni… » (22 septembre 1982, p. 44, voir également p. 34, 19 mai 82), rappelant que si Cézanne fut ainsi qualifié par Braque, Proust, quant à lui, « écrivait “mal” » comme « tous ceux qui apportent quelque chose de neuf » (21 juin 82, p. 38). Même propos sur Flaubert et Dostoïevski (21 octobre 92, p. 51). À quand une histoire systématique des malfaçons, pour reprendre le terme beckettien, aujourd’hui que des archéologues de la littérature nous vantent des rêves de style parfait, du kitsch néo-classique ?