Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 16 septembre 2017

HISTOIRE VS ESSENCE

En élaborant cette anthropologie, l’intellectuel critique se donne comme horizon un « humanisme radicalement historique[1] », qui tourne aussi bien le dos à l’humanisme classique et à ses racines théologiques et métaphysiques qu’à l’anti-humanisme scientiste et structuraliste de la période contemporaine.
Cette perspective a une conséquence indéniable : criticité et historicité sont toujours étroitement impliquées et s’opposent ensemble au signe comme discours porteur au contraire d’essentialité. Non qu’une pensée de l’être humain, si elle veut rendre compte de sa nature symbolique, de sa vie en société, de l’action de la culture, ait le pouvoir d’effacer et de transcender le signe. Là se situe un des points de disjonction entre Meschonnic et l’épistémè des années soixante et soixante-dix, qui assigne des limites au signe pour le subvertir du dehors, après l’avoir assimilé au règne du sens, de la raison, du logos, eux-mêmes indexés à la civilisation occidentale. Artaud, Bataille, Mallarmé ou Lautréamont ont constitué, on le sait, les modalités majeures d’une transgression du signe mais n’ont fait, en vérité, qu’en consolider de manière circulaire le modèle. Or si la critique du rythme se révèle avant tout une critique du signe, c’est qu’elle reconnaît au contraire dans sa « folie[2] » à la fois une cohérence et une inadéquation. La cohérence du signe tient à sa structure intrinsèquement dualiste, dont témoigne la définition linguistique, mais aussi à sa propriété extensive, anhistorique et universaliste. Dès Modernité modernité, plus encore dans Politique du rythme, politique du sujet, l’auteur montre qu’à l’acception linguistique s’articulent cinq autres paradigmes du signe, anthropologique (à travers l’antinomie du langage et de la vie, de l’oral et de l’écrit), philosophique (l’opposition des choses et des mots), théologique (la préfiguration chrétienne de la lettre et de l’esprit), social (les dialectiques individu/société) et politique (le rapport du souverain aux sujets, de la majorité et de la minorité[3]).
Autrement dit, le signe donne son nom à une anthropologie binaire dont la faille et, en même temps, le point de résistance est le poème, entendu sous l’angle trans-générique puisqu’il inclut aussi bien les vers et les proses que le roman, l’essai ou le théâtre, par exemple. Le poème se distingue par l’avènement d’un « signifiant-sujet » ou « complexe de signifiants[4] » dont la binarité sémiotique ne peut pas rendre compte à moins de le simplifier aussitôt. Cette inadéquation devant la littérature autorise un double processus : d’une part, l’enjeu est de comprendre que le signe, si efficace et puissant qu’il soit, n’est qu’une représentation possible du langage dont il faut dégager les implications pour notre représentation de l’humain ; d’autre part, étant cette représentation, elle-même historicisée et historicisable, le signe ne saurait tenir lieu d’essence ou de vérité pour le langage et a fortiori pour l’art du langage. À l’inverse, le poème est le lieu d’une conception multiple et plurielle de l’individuation, du social, du politique. Si cette pensée est critique, il en va déjà ainsi du poème en son activité même. Ni subversion ni transgression, la critique met donc à nu « la tâche de la pensée[5] ». À ce titre, elle n’a plus rien à voir avec le genre de la critique, dite littéraire ; sa méthode, résolument inscrite dans son temps, voisine plutôt avec les philosophies du soupçon. C’est pourquoi elle n’est jamais neutre non plus et engage chaque fois une axiologie au lieu de produire « un compte objectif, c'est-à-dire non situé » des théories en jouant à l’académique « dispensation des objections et des éloges[6] ».



[1] Heidegger ou le national-essentialisme, Paris, Éditions Laurence Teper, 2007, p. 176.
[2] Dans le bois de la langue, Paris, Éditions Laurence Teper, 2008, p. 7.
[3] Voir aussi Crise du signe. Politique du rythme et théorie du langage, Ediciones Ferilibro, 2000, p. 66-67.
[4] Le Signe et le poème, Paris, Gallimard, 1975, p. 519 et 515.
[5] Dans le bois de la langue, p. 11.
[6] « Le langage chez Habermas », Critique de la théorie critique, Presses universitaires de Vincennes, 1985, p. 198.