Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 23 décembre 2020

RACIALISME ET ANTIRACISME : DE LA PENSÉE-FOUTAISE

     Une amorce possible pour situer le débat autour des politiques racialistes, en termes de généalogie des idées notamment, ce serait l’entretien donné à Marianne (25.10.2020) par Pierre-André Taguieff à l’occasion de la publication de son essai L’Imposture décoloniale – avec tous les irritants et réserves de rigueur qu’on peut éprouver bien entendu : « Ce pseudo-antiracisme rend la pensée raciale acceptable ». Il reste qu’une double filiation semble nettement perçue : l’émergence de la critique antiraciste chez les militants afro-américains de la fin des années 60, qui ont promu l’idée de « racisme systémique » ou « racisme structurel » ; la convergence et les effets de continuité avec les mouvances communistes – d’obédience autoritaire, essentiellement stalinienne – et tiers-mondistes. D’un côté, se trouve pointée sous le terme de « racisme institutionnel », qui est devenu un lieu commun du discours public (et repris à l’ultra-gauche par les droites identitaires qui s’en servent ou non comme d’un paravent), « une arme symbolique » – je dirais personnellement : un gadget idéologique – le contraire en effet d’une « conceptualisation du racisme », c’est le plus important à souligner. La pensée-foutaise, qui ne permet pas de rendre compte du fait de ses indifférenciations caricaturales et de ses généralisations abusives des discriminations et même les laisse échapper. Le racisme systémique qui ressortit au mot d’ordre et aux jeux de ralliement, non à une analytique des pouvoirs et à une description des phénomènes d’aliénation socio-ethnique, ressortit au strict maintien de l’ordre. Une illustration presque parfaite de ce que serait une théorie traditionnelle dans l’ordre politique des cultures, dans l’ordre culturel du politique, si le mot « théorie » n’était vraiment de trop ici. De l’autre côté, on trouve l’articulation pertinente entre les caractéristiques de cette nouvelle doctrine « victimaire » (voir l’usage massif de la notion volatile de « micro-agression ») et « identitaire », qui a rompu avec « la tradition de combat avec les préjugés raciaux fondée sur l’universalisme des Lumières » et les conséquences – les déplis de la sophistique – du principe de l’antiracisme fondé sur la critique du racisme dit systémique : son ciblage presque exclusif sur les sociétés blanches, qui tient les cultures occidentales pour coupables eu égard aux récits de l’histoire (l’esclavage, les colonialismes, etc.), de sorte que tous les Blancs sont potentiellement racistes « jusqu’à preuve du contraire ». On passera sur ce fait qu’anthropologiquement le racisme se décline pourtant au pluriel – que les racismes se comptent autant que les cultures dont ils nomment les violences et les conflits, qu’ils sont multilatéraux et à ce titre toujours spécifiques. Ce qui n’enlève rien bien entendu au rôle historique des sociétés occidentales (dont on ne saurait cependant faire par ailleurs un englobant unique, sous peine de les réduire elles aussi culturellement). S’il est vrai que les « dominants » sont par nécessité des « racisants », alors comme le pose Taguieff à juste titre cela revient ici à nier « les responsabilités individuelles non sans faire obstacle à l’identification des vrais coupables » ; cela passe sous silence les noms de ceux qui en Europe ont dénoncé l’esclavage et le colonialisme… Cette sophistique, on le sait, emprunte à Robin DiAngelo et à sa topique de la White Fragility : exemple de « concept » au sens où l’entend le monde du marketing, mais qui a trouvé des terreaux favorables au gré des événements et des créneaux académiques. Le plus important dans cette discussion est ce qu’implantent de telles doctrines : une anthropologie racialisée, j’y reviendrai. Comme sur le point de vue franco-centré et euro-centré de Taguieff qui fait l’économie des situations américaines, alors qu’il mentionne au départ les activistes des années soixante. Pas un mot sur le trumpisme par exemple.