Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mardi 29 décembre 2020

CRT ET IMPENSÉ

    Pour y revenir, parce que ce sera un dossier – parmi tant d’autres – et le temps à y consacrer en sus de compétences qui me font défaut à ce sujet – mais il ne s’agit pas à mes yeux d’intenter quelque faux procès aux CRT non plus. La visée première, en vertu d’un héritage méthodologique issu de la French Theory, notamment du versant déconstructionniste, c’est bien entendu de débusquer l’impensé ethnique au cœur de la loi (les particularismes qu’elle dissimule). La continuité est patente aussi avec la critique marxiste de la loi interprétée au rang d’une fiction servant les intérêts de la classe sociale dominante. Mais le nœud du problème – mon malaise assez profond – au vu de la vulgate racialiste qui s’inspire aujourd’hui des CRT est peut-être ce point ambigu entre le « social » et l’« ethnique ». D’une part, il y a aussi un impensé social de l’ethnique : faire partie d’une bourgeoisie minoritaire progressiste au lieu d’un prolétariat immigrant, ce n’est pas du même ordre, pour recourir ici aux grands écarts (la dynamique des violences socio-écononiques). D’autre part, le social immerge plus directement dans l’historicité. C’est peut-être cette résistance que j’ai à considérer la présentation de Lionel Zevounou (« La question raciale chez les juristes américains. Autour des Critical Race Theories », 2020, dans La Vie des idées). Bien sûr, la leçon comparatiste, et spécialement la lecture française d’une question de la société américaine, qui a le don de mirriter comme effet dimport. Lecture qui veut cependant prendre à rebours les fondements laïcs et démocratiques de l’État républicain, produire « l’analyse de l’impensé racial du système juridique français » – ce qui en soi est intéressant – eu égard à ce fait que dès 1791 puis en 1848 les révolutionnaires ont été confrontés à la réalité coloniale et esclavagiste, eu égard aux post-colonialités du modèle français et à sa diversité comme société. Mais non sans réserves vis-à-vis de certains lieux communs qui ne sont pas discutés : les micro-agressions, le racisme systémique, ces tartes à la crème du présent, et un point philologique autour du terme de « race » (voir p. 4 et la thèse du consensus ontologique) – et il y a une différence sensible qui n’est pas soulevée sur ce point entre l’anglais et le français (langue dans laquelle le mot est extrêmement « entaché »), de sorte qu’on lit des choses comme « question raciale », etc., comme si cela allait de soi. Puis comme souvent le point de départ implicite passe entre deux modèles, USA et France, ces deux pays à société révolutionnée, dont l’un a misé sur les singularités communautaires et l’autre sur l’abstraction universaliste pour penser les différences voire corriger les injustices et les inégalités. Deux réponses qui ont leurs atouts et leurs défauts. Du côté des singularités, il dépend encore de la manière dont on les envisage selon qu’on les prend comme historicités ou comme essentialités. Il est possible dans l’écoute flottante que je peux avoir des débats ici et là que le Québec soit travaillé par cette double tradition. Il me semble avoir même lu un texte d’intervention de cet ordre dans Le Devoir, je ne sais plus. Ce qui est certain c’est que le paradigme racialiste qui est en train de s’installer sur les campus à la faveur de la culture victimaire généralise une pensée essentialisée des singularités. Il apparaît enfin que l’attitude dénoncée chez les gestionnaires du monde académique comme clientéliste a trait en vérité plus profondément à un voisinage sinon à une évidente familiarité avec les thèses des CRT (voir dans toute cette controverse le rôle des juristes, à commencer par le recteur de l’université d’Ottawa) et à la manière dont – en réponse aux militants activistes comme à l’ensemble de la communauté – ils en font usage politiquement.