Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

lundi 21 décembre 2020

LE MYTHE DE LA RAISON BLANCHE

  Car l’objection majeure qui procède de l’amalgame qu’Isabelle A. et moi avons dénoncé, et qui agit en son nom, est que toute défense de la liberté académique porterait (et masquerait) sur un plan d’abstraction, spéculatif-scolastique, l’existence des singularités – des identités ethniques irréductibles en particulier. Le sous-entendu (pervers et jamais vraiment explicité) de cet argument est, à mon avis, que la liberté académique n’est elle-même qu’un instrument au service de la domination et de la majorité blanches. Il s’agit d’une variante du discours activiste dans sa rhétorique extrême qui considère par exemple que ce sont les Blancs qui déterminent la légitimité des savoirs, ce qui est en eux acceptable et rationnel, savoirs à leur tour validés par des auditeurs et des publics de Blancs. Un pas de plus – mais cette prémisse se trouve en réalité impliquée dans le propos – et la raison, la logique, l’argumentation sont blanches. Thèse qui est probablement la forme radicalisée, et en l’occurrence réinterprétation hyper-racialisée, de la critique (derridienne surtout) du logos occidental, qui s’est jouée dans la tradition philosophique continentale et sa métaphysique au cours des années soixante, puis ses réemplois dans les décennies suivantes au cours des batailles culturelles. Il y a nombre d’objections à cette prémisse non seulement fausse mais extrêmement nocive au plan éthique et politique. Un exemple élémentaire : l’inférence, la capacité à enchaîner des propositions, à passer du particulier au général, ou l’inverse, etc. Autant d’opérations en vérité universelles, dont un.e japonais.e, un.e mexicain.e, un.e suédoise ou un.e malien.ne sont également capables – puisqu’il s’agit dans tous les cas des procédures de l’entendement humain. Que telles opérations empruntent le truchement des langues naturelles, et mettent ainsi en tension nœuds logiques et discursivité des énonciations – phénomène en soi absolument passionnant – indique le lieu même du problème qui n’est pas ethnique justement mais linguistique – qui passe par l’activité des idiomes, l’historicité des discours et des sujets qui s’y inventent et s’y agencent. En vérité, ce sont moins les objections à l’interprétation ethnicisée de la critique logocentrique qui m’importent que les conséquences d’une telle représentation qui semble servir de dogme aux luttes. S’il était vrai que la raison, la logique, l’argumentation sont blanches, il ne pourrait plus y avoir d’idées ni de savoirs partageables et partagés. Et ce qui est frappant dans cette affaire c’est peut-être précisément le langage comme condition du commun – qui est totalement oublié. S’il était vrai que la raison, la logique, l’argumentation sont blanches, il n’y aurait que l’ordre de la violence pure. C’est ce détail qui avait retenu mon attention en découvrant les attaques polémiques de la société étudiante de McGill et l’appui recherché du côté de David Gillborn (chercheur britannique, blanc s’il était besoin de le préciser…, et spécialiste en sociologie de l’éducation). Le segment cité de « Risk-free racism: whiteness and so-called “free speech” ». Je ne reviens pas sur les confusions entre freedom of speech et academic freedom. Pour ceux-là, je ne peux plus rien, ce sont des cas désespérés. L’idée plus intéressante selon laquelle ce sont les Blancs – savants ou auditeurs –« who simultaneously define as irrational, emotional, or exaggerated the opposing views of people of colour » Je ne commenterai pas davantage le binarisme et le manichéisme qui retirent à une telle déclaration sa validité ; l’élément pertinent ici est plutôt la récupération du modèle anthropologique colonial du XIXe siècle. Bien qu’elle soit disposée dans le paradigme négatif de la raison blanche-occidentale-chrétienne-masculine, etc., la rhétorique activiste de la victime s’en accommode : c’est dans l’émotion et l’irrationnel – les blessures, les humiliations, les traumas – qu’elle se déplie en premier lieu ; et c’est encore au nom de la sécurité et du bien-être qu’elle se revendique en contre-pouvoir. L’ordre du ressenti et l’ordre de la violence.