Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

vendredi 25 décembre 2020

LE TOUT-RACIALISABLE

    La composante déterminante de cette idéologie est probablement l’anthropologie racialisée sur laquelle elle s’appuie. La société comme culture ou lieu des cultures est d’abord un lieu des confrontations, des antagonismes, des violences. Il s’agit d’une totalité d’identités dans laquelle ces identités sont non seulement présupposées ontologiquement mais aussi préassignées éthiquement. Dans ce cadre, l’attribution ethnique précède toute tentative de prise de parole. Elle constitue l’a priori des formes d’individuation et d’association. Ces identités mises en tension sont traitées au rang d’essences. C’est ce que Taguieff comprend, il me semble, lorsqu’il déclare que ce « pseudo-antiracisme rend la pensée raciale acceptable ». D’un côté, les mécanismes de domination ressortissent nécessairement à une logique de discrimination, les termes sont tenus pour équivalents, ce qui fait déjà difficulté. Selon la cible déclarée, « l’Occident » se voit de la sorte pleinement « essentialisé en tant que raciste » et objet de contestations voire d’une « haine sans limites ». De l’autre, il s’agit peut-être d’une « nouvelle version, racialisée, du choc des civilisations, présupposant une conception manichéenne du monde qui se traduit culturellement et politiquement par une guerre des races, des ethnies, des religions. » Mais pour rappel, la thèse de Huntington disposait le concept de civilisation au lieu de celui de culture ; il actait le retrait de la vision universaliste qui a porté les sociétés occidentales, avec en ligne de mire entre autres les blocs islamiques. Mais dans cette anthropologie, même le religieux passe au second plan ; c’est la théorie de l’identité qui s’y exprime et tient pour naturel et essentiel le critère ethnique qui constitue désormais un obstacle. C’est en raison de cette radicalité essentialiste que ses expressions diverses comme discours social en font l’instrument d’une possible révolution conservatrice. Sur cette base, il découle aussi que l’ethnique devient l’interprétant des pratiques et des catégories par lesquelles une société pense ces mêmes pratiques, par lesquelles une société se pense. Un des effets, anecdotique mais parlant, – caricatural et pathétique aussi – de cette anthropologie, du tout-ethnique, c’est par exemple la révision terminologique dans les milieux informatiques – Goggle et Microsoft en tête – autour des notions Master / Slave ou Whitelist vs Blacklist (désormais remplacées par Allowlist et Blocklist). Ainsi réinterprétées, des oppositions de nature pourtant sémiotique servent bien entendu de couverture déontologique aux entreprises. Mais en vertu des termes qui la fondent, il n’existe pas de limites à cette anthropologie : nimporte quel objet y devient racialisable.