Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

vendredi 16 octobre 2020

CE MOMENT QUI NOUS TIENT IMMOBILES

  La rhétorique institutionnelle a ceci de précieux qu’elle est révélatrice des représentations stéréotypées et des idéologies qui les accompagnent. Et dans le cas des universités, particulièrement la version nord-américaine qui agit sur le marché des savoirs, il est piquant d’observer la politique de communication. Par exemple, cet exercice de sagesse et de philosophie en période de désarroi collectif, dans la bouche d’une vénérable vice-chancelière : “I am reminded of one of our Spring Convocation ceremonies in 2018. That day, the wonderful Haitian-Canadian author Dany Laferrière was set to receive an honorary doctorate. Just before the celebration began, a storm knocked out the electricity. All we could do was wait. When the power returned, Mr. Laferrière posed a question: “Que faire lorsqu’on ne peut pas faire ce qu’on a envie de faire?” What do we do when we cannot do what we want to do? He went on to praise “ce moment qui nous tient immobiles,” the unexpected pause, because it forces a moment of calm and quiet on our otherwise hectic, noisy lives.” (13.10.2020, https://www.mcgill.ca/principal/communications/statements/pausing-reflection). L’analogie est significative parce que s’il est un temps qui exclut l’immobilisme c’est bien celui-là qui ne se vit pas autrement que dans l’impératif du télétravail – à marche forcée – dans l’ajustement et l’épuisement, le vide et l’angoisse, les ratés et des dysfonctionnements nombreux. La comparaison est doublement (et involontairement) pertinente en ce qu’une panne de courant, aussi simple et ordinaire en effet qu’inattendue, suspendrait non moins banalement cette économie improvisée à la hâte, économie du pis-aller et du bricolage qui nous est présentée sous les beaux atours et atouts de la technologie par les médias, les employeurs, les gouvernements. Mais le plus intéressant est encore ailleurs : dans le lieu commun qui associe la littérature – sous l’espèce de Danny Laferrière – à l’état de réflexivité. Comme si la littérature – les littératures – de celles et ceux qui la font à celles et ceux qui l’étudient et en transmettent le goût, l’analyse et la connaissance, si peu soutenues ou valorisées (et non seulement au plan financier) entre la sphère académique elle-même et la sphère politique – comme si la littérature donc était le lieu privilégié de la distance et de la construction critiques. À croire que les autres pratiques et disciplines du sens ne permettent pas l’acuité d’un tel regard – la capacité à regarder nos existences. Au demeurant, l’image est juste, et dit quelque chose d’un nécessaire réapprentissage, d’une éthique. Au demeurant, l’univers scolastique est tout sauf excepté ou indemne des pressions du temps, du marché, des résultats, des performances, tout ce qui conduit à nos « otherwise hectic, noisy lives » – et qui n’est pas fondamentalement questionné ici. Traduction malicieuse que m’en donne cet autre auteur québécois, Alain Farah : « Oui, pas de panique, l’électricité va revenir ». Entre nous. Nous tous. Comme de normal…