Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 14 octobre 2020

AUTOTHÉORIE

  De nouveau autour de la table le débat sur l’émergence depuis dix ans environ de l’autothéorie – de Chris Kraus et I Love Dick (1996) à Maggie Nelson surtout, The Art of Cruelty: a Reckoning (2011) et The Argonauts (2015). Décidément. À ces convergences et ces insistances, survenues dans la trame ordinaire des conversations, des courriers, des rencontres ou des lectures, répond (avec souvent une irritabilité réflexe, celle du soupçon) la disqualification immédiate du concept à l’état de buzz word. À voir – et à mesurer très certainement à sa longévité, à sa consistance et surtout à sa productivité heuristique. Sauf que celui-ci a cette particularité de se tenir dans une double démarcation, vis-à-vis du genre narratif de l’autofiction d’un côté, de l’autre des effets de la théorie avec un grand T – celle qui a nourri des générations depuis 40 ans sur les campus ; et de ce point de vue, il serait finalement inséparable du temps de la post-théorie comme récente construction/périodisation historiographique. Quoi qu’il en soit, il apparaît d’abord comme mot d’écrivain, et c’est peut-être là le plus important, – sinon résistant du moins distinct du statut de la Theory dans sa version strictement académique. À ce titre, il appelle diverses origines et filiations. L’histoire de l’emprunt racontée notamment par Maggie Nelson: « I flat out stole this term from Paul Preciado’s amazing Testo Junkie. I don’t know of another place where it’s been used. I’m always looking for terms that are not “memoir” to describe autobiographical writing that exceeds the boundaries of the “personal,” and since this book has more theory in it than other books of mine, it seemed an apt description, even if its form, or its particular investment in theory, is quite distinct from Preciado’s experiment. I was moved and felt a tremendous kinship with the opening lines of Testo Junkie, which read: “This book is not a memoir. This book is a testosterone-based, voluntary intoxication protocol, which concerns the body and affects of BP. A body-essay. […] If things must be pushed to the extreme, this is a somato-political fiction, a theory of the self, a self-theory.” I felt The Argonauts to be a similar project, not in terms of its being a T-based protocol, but vis-à-vis its charting the vectors and vicissitudes of my own body: its angling in the direction of my beloved Harry, its experience of bearing and caring for a child, and so on. » (https://lareviewofbooks.org/article/riding-the-blinds/). La dernière composante s’inscrit évidemment dans l’expérimentation corporelle. Mais le phénomène capital dans l’acte de réappropriation, c’est le glissement de « theory of the self » à « self-theory » et enfin « autotheory »… Voir également Ralph Clare : « Becoming Autotheory » (Arizona Quarterly: A Journal of American Literature, Culture, and Theory, John Hopkins University Press, vol. 76, n. 1, Spring 2020, p. 85-107). À suivre donc.