Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 26 septembre 2020

LA PAGE BLANCHE

     Les tribunes se suivent et se ressemblent… sans que le débat ne s’élève vraiment. Comme de prémédité, Jean-Luc Barré, Michel Braudeau, Frédéric Martel, Angelo Rinaldi, Olivier Py, Edmund White, répondent ce 25 septembre dans Le Monde à la contre-pétition du 17 dernier, ouvertement hostile à la mise en panthéon de Verlaine et Rimbaud : (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/25/ce-n-est-pas-assagir-rimbaud-et-verlaine-ni-les-recuperer-a-des-fins-partisanes-que-de-les-faire-entrer-au-pantheon_6053523_3232.html). Tandis que les adversaires sont vite qualifiés de « soixante-huitards forcément attardés », de « professeurs émérites, de catholiques et d’écrivains – certains fort respectables, au demeurant » selon la ronde polémique des clichés, ceux-là ne défendent pas l’ordre établi. Les auteurs de la tribune se sont réconciliés avec la République, celle qui est au pouvoir notamment – l’allusion est sur ce point assez limpide : « C’est d’ailleurs inévitable. La République doit accueillir plus de femmes, mieux représenter les différences. Ce mouvement est en marche, comme le montrent les panthéonisations récentes d’Alexandre Dumas, de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, de Simone Veil ou d’Aimé Césaire, dont certaines se sont faites symboliquement par une poignée de terre prélevée sur la tombe et par une plaque, sans le déplacement du corps. » [c’est moi qui souligne]. De là découlent d’incroyables sophismes comme on en aura rarement lus : loin de vouloir institutionnaliser Rimbaud et Verlaine, « il s’agit de “désinstitutionnaliser” le Panthéon ! » en sorte même que « le temple laïque et républicain soit “multiplicateur de progrès” ». Et la citation ne détourne pas uniquement la lettre dite du voyant ; elle touche très précisément au cœur de l’œuvre par le nœud poético-politique chez Rimbaud, en l’occurrence inséparable de la révolution socialiste (voir à ce sujet Steve Murphy, Rimbaud et la Commune – Microlectures et perspectives, Classiques Garnier, 2010). La contre-note, résolument ironique, sur les dénis qui entourent les lectures inspirées des Gender Studies et la prégnance de la problématique homosexuelle tant chez Rimbaud que chez Verlaine est beaucoup plus juste et mieux ciblée. On sourit seulement à lire certains procédés de contre-offensive : « Ne nous cachons pas la vérité : les arguments contre l’entrée de Rimbaud et Verlaine au Panthéon tiennent pour l’essentiel à la question homosexuelle. » Car les arguments pour l’entrée de Rimbaud et Verlaine au Panthéon – que les signataires de la tribune soutiennent depuis le début – ne tiennent pas moins à cette question. Dans ce jeu de miroir, qui fait de cette pauvre controverse un  vrai piège à cons, on est seulement atterré de voir nos auteurs en conclure, en toute certitude et confiance : « Par-delà notre pétition, qui aura au moins permis de révéler au grand jour ce camp du déni et de l’ordre moral, une page blanche s’ouvre pour les études rimbaldiennes et verlainiennes. À nous maintenant, et à de nouvelles générations de chercheurs, de produire sans préjugés les recherches nouvelles que, “ô future vigueur”, nos deux plus grands poètes méritent. » Une page blanche vraiment ? Mais celle-ci – et sans préjugés – continue de s’écrire – et sur la problématique homosexuelle entre autres – depuis 30 ans maintenant. On ne saurait mieux trahir un esprit à contretemps – une démarche retardataire et surtout résolument ignorante, ignorante des « recherches », depuis les activités érudites et savantes à des essais plus visibles sur le marché culturel…