Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

jeudi 25 mai 2023

LA CULTURE MYTHIQUE

   Non moins intriguant le développement de l’auteur de la proposition de loi 1199 contre la réécriture idéologique des œuvres en faveur d’un remaniement du code de la propriété intellectuelle : Le Figaro – 17.05.2023. On a droit d’abord à la diatribe conservatrice contre le « wokisme » et la « cancel culture » dont le tribun de droite admet qu’ils sont eux-mêmes « pluriels » dans leurs manifestations – déboulonnages, censures, annulations, récritures – ce qui devrait en soi jeter le doute sur les concepts employés. Les accusations hyperboliques contre « la déconstruction de la civilisation et de l’anthropologie occidentale » – rien de moins, svp – jusqu’au « brasier » des « luttes intersectionnelles ». Bourdieu ciblé au nom du couple dominant-dominé comme si c’était lui qui l’avait inventé. Sans parler de sa résistance aux approches états-uniennes à angle racial. Que certains bourdieusiens aillent vers la CRT, c’est une autre affaire (voir les démêlés et déboires de publication de Stéphanie Roza à ce sujet). Après la police de la pensée, la « police de la sensibilité ». L’analogie avec le procès de Madame Bovary et le procureur Pinard est mal venue ; et c’est une stratégie courante à droite de reprendre à son compte les combats de la gauche, du moment que ces combats sont passés et appartiennent à l’histoire. Ne pas trop prendre de risques. L’opposition entre la « richesse de la confrontation aux œuvres de l’esprit » et « l’avidité mercantile » dans laquelle se placent les sensitivity readers est bien plus pertinente, même si aucune analyse véritable du capitalisme de la sensibilité, des liens entre les forces du marché et l’idéologie EDI nest établie. Mais le propos bute encore sur deux points : l’appel au concept d’intertextualité et à Palimpsestes de Genette (ça y était presque : plutôt l’hypertextualité que l’intertextualité, mais bon, cette fois-ci les conseillers l’auront mieux renseigné que sur Bourdieu) masque ce problème corrélé que si la littérature procède du principe de récriture les réorientations idéologiques ou morales actuelles n’y dérogent pas, elles en sont partie intégrante (voir au Moyen Âge les Ovide et Virgile moralisés – nihil novi sub sole). Surtout, cela suppose une conception déshistoricisée et très idéalisée du texte et de la culture : dans ce circuit de la communication, on a l’impression de passer de l’auteur au lecteur et vice versa, dans une sorte de dialogue intime. Et puisqu’il est question dHomère comme d’Agatha Christie, il y a un premier passeur, c’est le traducteur. Ensuite, c’est au tour des éditeurs, correcteurs, réviseurs, etc. L’histoire matérielle du livre y a suffisamment insisté (voir Roger Chartier). Ce qui est vu à juste titre : le mercantilisme de la « vertu affichée » et le « risque réputationnel », mais déclarer que « les œuvres de l’esprit deviennent des produits de marketing comme les autres », c’est découvrir tout à coup (et bien naïvement ou hypocritement) que les lois du marché s’appliquent au monde de la culture et le mettent sous pression. Sans blague. Ce serait bien de lire Les Règles de l’art justement. Le dernier volet est l’intervention par le droit, la distinction entre les droits patrimoniaux et les droits moraux imprescriptibles avec à l’horizon l’intégrité de l’œuvre – notion bien mythique. En dernier recours, c’est l’intervention et le contrôle de l’État qui sont envisagés – comme si l’État pouvait lui-même être intègre ou neutre… Ce que ça dit une fois de plus, cest une conception politique (politisée) de la culture.