Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 2 juin 2021

MYTHOLOGIE DES SAVOIRS EXPÉRIENTIELS

    L’autre versant de la politique des émotions, qu’il importe absolument de déconstruire, c’est la mythologie des « savoirs expérientiels » qui, s’ils répondent à des fonctions spécifiques dans l’existence, n’ont en soi aucune dignité épistémologique. Ils ressortissent au domaine de la connaissance intuitive, sensible ou pratique ; des formes incontestables de cognition mais qui ont peu à voir avec la construction théorique et le champ de la science, des sciences. L’abus lexical autour de « savoir » permet de cultiver l’équivoque, et motive les tentatives militantes de dé-hiérarchisation (alors qu’il s’agit de fonctions spécifiques différenciées). Mais c’est en phase avec la privatisation des identités de l’âge néolibéral. Ces savoirs expérientiels, qui se prétendent plus pragmatiques, sont inséparables du senti et du vécu – l’expression d’un nouvel égotisme. Ce sont des savoirs de l’identité par définition – pas des savoirs de l’autre, des autres. Le savoir n’advient qu’à la condition de se décentrer. La mythologie des savoirs expérientiels fait des dégâts nombreux et serrés auprès des plus jeunes générations, elle les entretient dans l’illusion d’un acquis autonome et émancipé de toute tutelle, en vertu duquel on saurait mieux et plus. Ce faisant, elle empêche que ces mêmes générations soient dotées des outils adéquats. La conséquence est que les savoirs expérientiels – combinés à l’émotionnalisme qui se révèle désastreux pour le travail de pensée critique – ressortissent non seulement au primat du senti mais à la croyance. On est en train de conforter des individus dans leur « idéologie » au lieu de les former concrètement – des individus qui seront nettement moins équipés, et auront à l’avenir peu d’aptitude à la résilience. Ils se montreront, au contraire, bien plus fragiles au plan social et économique. Au savoir égotique, opposons le savoir décentré, le savoir critique.