Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 2 juin 2021

L'IDENTITÉ SUBSTANTIELLE

    Ce qui est intéressant chez Mathieu Bock-Côté, au-delà des vitupérations habituelles, et de l’imaginaire du dissident de droite (particulièrement bien réseauté au sein des groupes médiatiques conservateurs, visible et dûment représenté sur la scène publique), c’est la corrélation établie entre la racialisation des rapports sociaux, l’idéologie diversitaire et la dénationalisation (la thèse que l’auteur déploie inlassablement depuis 2007). Il est difficile d’obtenir au cours de la démonstration les preuves de cette dénationalisation. Plus encore, la racialisation est associée au thème de l’immigration de masse, ce qui est doublement fantasmatique compte tenu du statut « économique » des politiques migratoires en terre canadienne et du fait que parmi toutes les autres provinces qui l’envient à ce sujet le Québec dispose d’un cadre législatif et de leviers qui font qu’il peut comme « pays » ou presque avoir très sérieusement la main sur le processus. Sans parler du fait que la province compte seulement 15 % de minorités et inclut dans son immigration des Blancs, venus de France, de Belgique, etc. Par ailleurs, la dénationalisation par racialisation se règle sur un rejet obsessionnel du multiculturalisme. Où se confond la diversité démographique d’une société et le modèle théorico-politique qui doit en rendre compte, ce qui est sensiblement différent. De même, s’ils peuvent dans certains cas se révéler connexes, multiculturalisme et idéologie diversitaire ne sont nullement synonymes. Il y a bien des manières de penser la diversité et de la promouvoir comme condition du commun ; à elle seule, pour être nécessaire, elle n’est pas cependant une condition suffisante du singulier collectif auquel répond l’idée même de société dans l’ordinaire de son organisation et de son fonctionnement. L’ennemi diversitaire dans cette rhétorique s’oppose à l’identité posée comme substantielle – oubliant que les identités sont d’abord relationnelles. La pensée par substance est une fiction. Elle laisse entendre sans dire son nom une métaphysique. Non moins essentialiste que les identités segmentaires, qui se règlent sur une privatisation néolibérale des individus et une ontologie de la catégorie, dans le schéma woke. Elle s’articule encore à une critique de la « modernité » dont on n’aura pas la définition (le lecteur doit supposer qu’il s’agit de la modernité politique, ouverte au XVIIIesiècle par les Lumières, et l’âge des Révolutions, passage à la condition historique, à la dynamique du devenir comme temps des sociétés). Or cette modernité semble décriée comme « déconstruction » des repères de la civilisation occidentale – la subjectivité y devient labile et lacunaire, fluide, les genres sexuels, etc. De la pensée par blocs. L’identité (collective et nationale), fondée sur le peuple historique (qui pour avoir été colonisé et dominé par l’occupant anglophone n’en pas moins été aussi colon, ses relations avec les autochtones y sont peu développées, et pour cause). Mais cette identité est par avance en train de se détériorer – et c’est ce qu’il faudrait désespérément conserver. De fait, on n’en saura pas plus sur ce en quoi consiste vraiment cette identité. L’important est de conserver, parce qu’on assisterait à la sortie de la civilisation occidentale. Le discours repose intégralement sur une anthropologie de la perte et de la dissolution. Cf. Marcel Gauchet, La Démocratie contre elle-même : qu’il y a plus de signification (historique) dans les disparitions. Le civilisationnisme répond au décolonialisme et vice versa.