Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mardi 1 juin 2021

L’ŒIL LINGUISTIQUE

   Découverte et lecture passionnante de l’article de Jacquelyn Rahman, sociolinguiste, « The N Word: Its History and Use in the African American Community », Journal of English Linguistics, n°40 (2), Sage Publications, 2012, p. 137-171. À comparer avec l’étude classique de Simone Delesalle en français, « Le mot “nègre” dans les dictionnaires français d'Ancien régime; histoire et lexicographie », Langue française, n°15, Paris, Larousse, 1972, p. 79-104. La philologie et l’analyse lexicographique, puis sémantico-pragmatique, le marché linguistique : c’est bien pourtant de tout cela qu’il convient de partir en toute rigueur. Et : comprendre. Les jalons classiques d’abord de l’évolution en terre états-unienne de nigger, attesté en anglais dès 1574. À l’instar de nègre, la forme issue de l’espagnol ou du portugais est d’abord (relativement) neutre. Elle soutient une classification ethno-géographique sur la base de la couleur de peau, celle des peuples d’origine subsaharienne, pour marquer au cours des XVIIe et XVIIIe siècles l’infériorité, le développement intellectuel et culturel moindre des individus noirs par rapport aux Blancs. L’expansion du terme, présenté par exemple par le Merriam-Webster comme la pire des insultes en langue anglaise de nos jours, est inséparable de tensions sociales au temps de l’abolition de l’esclavage, entre autres pour des raisons économiques, le nombre croissant d’affranchis étant reçu comme une menace potentielle sur le marché de l’emploi par les populations blanches masculines. Au-delà de cette chronologie rudimentaire, il convient de rappeler que, tout en étant un objet d’opprobre par les communautés noires, l’exclusion du mot aujourd’hui ne fait pas non plus l’unanimité entre elles : certains locuteurs issus des plus jeunes générations continuent de le revendiquer, en dépit des incidents publics qui, dans la dernière décennie, se sont multipliés autour de son emploi (en majorité par des individus blancs). En vérité, il est impossible de saisir la force de l’interdit qui entoure nigger sans l’existence dans le vernaculaire afro-américain de la forme concurrente nigga, avec lequel il constitue a) une paire phonologique (par changement de terminaison a/er) et b) un couple sémantique (par réorientation des traits axiologiques). Au-delà : il y a toute la série des appellatifs, le binôme nigger/nigga peut être complètement éludé au profit de Black ou Afro-American, sans exclure les variations de classe sociale, ou encore les désignateurs urbains et régionaux (le double répertoire sociolectal et dialectal). Sans parler des habitudes lexicales par roulements générationnels. Mais si nigger appartient primitivement aux Blancs, et se trouve pour cette raison régulièrement censuré, nigga est devenu pour les locuteurs noirs l’expression d’une contre-société : un vrai marqueur identitaire, qui met en commun l’expérience de la diaspora, le souvenir de l’oppression et le sentiment de la solidarité. À noter qu’il ne fait pas non plus consensus absolu : l’opposition phonologique peut ne pas être clairement perçue, la proximité entre -a et -er être telle qu’un auditeur risquerait de comprendre nigger au lieu de nigga, d’où le refus en bloc des deux items chez d’autres représentants des communautés noires. Etc. Voir dans une autre optique (en complément) : Mbembe.