Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mardi 24 juillet 2018

LE SINGULIER ET L'ORDINAIRE

Ce que je comprends, c’est que dans la théorie de la culture chez De Certeau, il y a le singulier de l’ordinaire et le singulier de l’artistique. Une anthropologie du « singulier » (La Prise de la parole, p. 181) sous lequel se déplie un paradoxe fécond, qui déborde explicitement le récit et la représentation officiels de la culture, de leurs « auteurs, sujets supposés » et de leurs productions « dont la clôture est fictive », pour considérer plutôt la « mer anonyme » d’une « créativité » ordinaire (p. 11). C’est pour cette raison qu’un tel modèle importe à ce degré à la poétique. Comment le singulier de l’ordinaire implique (et sous quelles formes ?) le singulier qui est normalement le paradigme de l’artistique (et l’artistique hante la théorie des arts et des manières).
Quatre niveaux lisibles de cette anthropologie du singulier :
1º Elle privilégie l’ordre du particulier et à ce titre conteste la relation logique traditionnellement établie entre la science et le général ; elle inaugure même un autre mode de connaissance via les pratiques matérielles et symboliques des sociétés ;
2º Elle dissocie le singulier de l’unique et de l’identique : la culture n’est pas le lieu du propre mais de l’autre, ce qui loin des formes autorisées ou légitimes qui ont cours entre des individus, des classes ou des groupes, s’invente sans cesse au « pluriel » par « prolifération » et « désappropriation » (p. 11 et 13). – Et si l’on regarde les objets, les questions, de l’œuvre : les dialectes et les patois, les religions populaires et le discours mystique, l’oralité dans l’économie scripturaire, l’orthopraxie du corps et son anti-discipline. 
3º Elle considère enfin, et ce n’est pas le plus mince aspect du paradoxe, le singulier au cœur du commun : la « science de l’ordinaire » (L’invention du quotidien, t. I, p. 29) qu’elle cherche à construire s’adresse en priorité aux « “héros obscurs” de l’éphémère » – marcheurs dans la ville, habitants des quartiers, « peuple obscur des cuisines » (L’invention du quotidien, t. II, p. 361), etc. Elle rompt en conséquence avec le régime d’exception et d’anomie qui caractérise normalement le créateur (peintre, écrivain, compositeur).
4º Il reste que si la culture « n’a plus d’auteur », mais passe aux mains de « “n’importe qui” » et de « “tout le monde” » (L’invention du quotidien, t. I, p. 13-14), cette théorie du commun n’exclut pas pour autant le singulier pour ne retenir que ce qui se ressemblerait ou ce qui se répèterait : en fait, c’est plutôt en s’ouvrant au « multiple des différences » (L’invention du quotidien, t. II, p. 360) qu’elle pense le singulier comme quelconque ou le quelconque au rang de singulier.
La culture est le révélateur par excellence de l'hétérologie comme science.