Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 25 juillet 2018

LE CULTUREL

Au terme de la typologie notionnelle qu’elle établit du terme de « culture » en forme d’abécédaire – des emplois qui sont autant de points de vue, la critique de Michel de Certeau pointe l’amalgame entre culture et culturel. Tournant essentiel. Le culturel comme substantivation à valeur de « neutre » (La Culture au pluriel, p. 172) ; le culturel comme indexation et réduction sous du divers, le divers de phénomènesdu pluriel propre à la culture – le divers n’est pas le multiple.
Bien entendu, dans le contexte français, mais aussi international, la plupart des pays à la même époque se dotent d’appareils similaires, le mot résonne évidemment par sa charge politique, avec la création au début de la décennie gaullienne d’un Ministère d’État des Affaires culturelles confié à André Malraux, alors que la fonction était plutôt rattachée depuis la Troisième République au Ministère de l’Instruction publique. Important de le souligner : La Culture au pluriel paraît en première édition en 1974, à la clôture des années Pompidou. 
Mais il y a plus large : en se substituant à elle, le culturel dilue aussitôt l’idée de culture. En fait, il empêche de penser ses rapports à la société, en annule les modes d’actions dans le champ matériel ou symbolique, les effets comme les enjeux. Il entretient surtout l’illusion d’une « autonomie », nécessairement « indifférenciée et molle » (p. 173), sorte de zone grise « où refluent les problèmes qu’une société a en reste, sans savoir comment les traiter » (p. 172). La culture y perd donc le rôle critique qu’elle tient par interdépendance ou détermination réciproque avec la société, comme si elle se trouvait tout à coup déchargée des forces ou des antagonismes qui la traversent. Elle n’est plus le lieu de l’autre – condition d’émergence du singulier à l’œuvre dans les opérations et les pratiques signifiantes du tissu collectif –, elle devient l’autre de la société et se démarque paradoxalement comme périphérie. Elle apparaît non seulement comme une « dimension » à part et plus encore une région « abstraite» (p. 173), déliée de la sphère technique, économique, morale ou politique par exemple.
Soumise à ce régime d’exception, la culture assimilée au culturel représente assurément une « idéologie bricolée » (id.), et Michel de Certeau dénonce plus loin l’ambiguïté qui fonde (et institue au cœur même de ses principes et de ses programmes, de ses soutiens budgétaires, de ses organismes et de ses représentants) la notion même de « politique culturelle », couplant « une culture dépolitisée » (et par conséquent politiquement instrumentalisable) à une « politique déculturée » (p. 190). À terme, cette ambiguïté peut favoriser sous couvert par exemple de démocratisation de nouvelles stratégies de domination et de monopole.