Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 14 septembre 2022

PAROLE DE CIRCONSTANCE

     Échange positif avec CP sur notre propre livre, « la posture »  je dirais la tenue dans un vocabulaire persien que je chéris davantage – qui consiste à être « au-dessus de la mêlée », ce qui permet de « contraster, de lier et d’enchevêtrer des idées au profit d’une meilleure compréhension » du problème. Il me semble que c’était notre visée (sans être dé-située bien sûr) ; c’est aussi l’impression que me laisse de nouveau la lecture du texte à date. C’est probablement ce qui explique quil demeurera invisible ou inaudible, loin des polarisations et des stratégies polémiques, il ne se prête guère au jeu public. Au mieux, il reste un essai de prise critique – à mon avis, inabouti ou fragmentaire – mais je mesure aussi à ce niveau rétroactivement le risque qu’il y a à écrire dans le présent au lieu du long cours avec le bénéfice d’une tradition durable et vénérable qui vous précède, ce à quoi j’ai toujours été habitué. Et une tradition, cela rassure malgré tout. Ce que je pointe, c’est la difficulté d’être une parole de circonstance (de n’être qu’une parole de circonstance ?) – de travailler à la distance et à la lucidité sur soi et sur les autres, dinfléchir l’idéologique qui vous traverse et vous meut aussi. Une parole qui nous a mis en contact avec le milieu journalistique mais aussi politique au vu des enjeux. Au moins, le texte en garde cette trace expérimentale : chaque section – et c’est ainsi voulu – appellerait de longs développements détaillés et nuancés (par exemple, la critique des savoirs, parmi les pages les plus économiques et déceptives, l’approche décoloniale est traitée comme lieu commun des savoirs et des discours institutionnels des savoirs, dans sa forme ouvertement déconceptualisée, pas comme marqueur-opérateur de constructions théoriques évidemment), mais le livre doit se lire comme une tentative de problématisation – et le coût était de se soustraire du discours social qui dissimulait et continue de dissimuler les enjeux. Il me semble qu’on ne se tient ni dans la panique morale ni dans la rhétorique catastrophiste. Le propos n’est pas non plus assimilable à une logique antiwoke : il est certes critique des versions dogmatiques en cours qui tendent à modeler le débat démocratique, mais le point majeur était de restituer sa valeur philologique et historique woke – awakening, et de démystifier ses implications (en dissociant woke, wokeness, wokism) : le détournement de ce qui constitue originellement un mot de la lutte des communautés afro-américaines et une traduction élitiste et néolibérale de la justice sociale. Pour le reste, en dépit de ses nombreuses lacunes (l’allusion au deuxième Grand Réveil vers 1830-1840, plus social que religieux, croisant premier féminisme et abolitionnisme – cf. les awakes et les chloroformers sous Lincoln dans les années 60 ; les « EDI » comme nouvelles politiques d’État en recherche ; la théorie critique des approches affectives du langage (offenses, etc.) ; les liens entre langage et droit, longtemps esquivés) ce texte est point de départ : autant de chantiers à explorer. Et pour finir, il me semble qu’il ne tranche pas la « dialectique » ouverte entre « liberté universitaire » et « justice sociale ». C’est encore le plus important. Même sil a pu être lu comme « manifeste », ce qui m’a étonné, mais sexplique par la conclusion ; comme on peut le chercher dans les mises au clair de lintroduction, je suppose. Etc. Au reste, cette partie-là du travail ne m’appartient pas vraiment.